Comment rendre compte de la mobilité sociale ?
Cours de sciences économiques et sociales SES de terminale économique et sociale ES.
Classe, stratification et mobilité sociale.
Comment rendre compte de la mobilité sociale ?
Objectifs :
→ Distinguer et illustrer les différents types de mobilité (intergénérationnelle, géographique, professionnelle).
→ Lire une table de mobilité et distinguer table de recrutement et table de destinée.
→ Expliquer l'intérêt et les limite de la mesure de la mobilité intergénérationnelle (table de mobilité).
→ Distinguer la mobilité observée et la fluidité sociale, ainsi que leur mesure respective.
→ Distinguer les situations de déclassement et le paradoxe d'Anderson.
→ Expliquer qu'il existe de la mobilité verticale (ascendante et descendante) et horizontale.
→ Expliquer le rôle de l'évolution de la structure socioprofessionnelle dans la mobilité sociale.
→ Expliquer le rôle de la famille et de l'école dans la mobilité sociale.
→ Expliquer le rôle de la famille et de l'école dans la reproduction sociale.
Notions à connaître :
Acquis de première : groupe d'appartenance, groupe de référence, socialisation anticipatrice, capital social
A acquérir en terminale: position sociale, origine sociale (sens enquête FQP), mobilité intergénérationnelles, mobilité intragénérationnelles, mobilité sociale, reproduction sociale, mobilité horizontale / verticale, mobilité ascendante / descendante, mobilité observée, mobilité structurelle, mobilité nette, fluidité sociale, déclassement, paradoxe d'Anderson, origine sociale (sens enquête ministère éducation nationale), capital culturel, homogamie sociale
Vous pouvez trouver ci-joint le dossier documentaire pour les élèves :
I] Qu'est-ce que la mobilité sociale et comment la mesurer ?
A) Les différentes formes de mobilité.
1. Il faut distinguer la mobilité géographique et professionnelle de la mobilité sociale.
La mobilité géographique désigne :
-
la mobilité résidentielle : changement de résidence principale au sein d’un même pays, en général entre deux recensements.
-
les migrations désignent un changement de pays de résidence.
-
la mobilité quotidienne désigne les déplacements effectués dans la journée.
La mobilité professionnelle décrit les parcours individuels comme une succession de changement de statut d’activité (emploi, chômage, inactivité) ou de professions (catégories socioprofessionnelles). → rend compte de la mobilité intragénérationnelle : changement de position sociale d’un individu pendant sa vie active.
2. Les différents types de mobilité sociale.
L’emploi étant une dimension structurante du statut social, on peut caractériser le statut d’une personne par sa position sociale : c'est sa profession actuelle. Mais aussi par son origine sociale : c'est la position professionnelle de ses (ou son) parent(s).
Le mobilité sociale c'est la circulation des individus entre les positions sociales (en pratique entre les PCS) et l'origine sociale. Elle se mesure par la mobilité intergénérationnelle : elle correspond aux changements de position sociale d’une génération à l’autre. C'est la « mobilité sociale » mesurée par l’INSEE. ( ≠ mobilité intragénérationnelle : au sein d'une même génération).
Lorsque la position et l’origine sociale sont identiques, on parle de reproduction sociale (ou immobilité sociale) ; sinon, l’individu est en mobilité sociale. Celle-ci peut être de trois types :
-
d’une part, elle peut correspondre à une amélioration du statut social, il s’agit alors d’une promotion sociale ou mobilité ascendante (verticale) ;
-
d’autre part, elle peut signifier une perte de statut, on parle alors de démotion sociale ou mobilité descendante (verticale) ;
-
enfin, l’individu peut avoir une profession différente de ses parents mais un statut équivalent, on parle de mobilité horizontale.
Pour rendre compte de la mobilité sociale, on utilise un outil en particulier : les tables de mobilités.
B) La mesure de la mobilité sociale : les tables de mobilité.
1. Les tables de mobilité brutes.
En France, l’INSEE collecte les données de mobilité sociale dans l’enquête sur l’Emploi depuis 1953 et dans l’enquête Formation et qualification professionnelle (FQP) depuis 1970. Ces enquêtes interrogent un échantillon représentatif de fils en âge de travailler (enquête FQP interroge 40 000 logements).
Les individus n’ont pas la même profession toute leur vie mais on ne considère qu’une et une seule profession par individu. On collecte la profession du fils au moment de l’enquête et celle du père au moment où le fils terminait ses études. On interroge les personnes à 40 ans (car à ce moment là, la mobilité sociale est plus faible), c'est la personne interrogée qui donne la profession de son père à sa sortie d'étude. Il existe aussi des tables de mobilités décrivant la position des femmes en fonction de celle de leur père.
Ces enquêtes nous donnent des tables de mobilité brutes, qui seront ensuite transformées en table de recrutement et en table de destinée.
La table de mobilité ci-dessous rend compte, en valeur absolu, de deux choses :
- la ligne donne la « destinée » : là où se situent les enfants dont le père à telle position sociale (à la sortie des études des fils). Elle répond à la question : que deviennent les enfants de ?
Par exemple : où vont les enfants de cadres / où vont les enfants d'employés.
- la colonne donne le recrutement de la catégorie. Elle répond à la question : d'où viennent viennent les ?
Par exemple : d’où proviennent les cadres actuels, d'où proviennent les employés actuels.
lecture des chiffres entourés.
-
285 : En 2003, parmi les 7 045 000 enquêtés (hommes âgés de 40 à 59 ans, actifs ayant ou ayant eu un emploi), 285 000 sont agriculteurs, soit 4 % de la population enquêtée (285/7045 x 100 = 4 %), d’après l’enquête FQP de l’INSEE.
-
72 : En 2003, parmi les 619 000 artisans, 72 000 ont un père agriculteur.
-
52 : En 2003, parmi les 2 364 000 ouvriers, 52 000 ont un père CPIS.
-
644 : En 2003, parmi les 7 045 000 enquêtés, 644 000 ont un père employé, soit 9 % de la population enquêtée (644/7045 x 100 = 9,1 %).
La Mobilité observée (mobilité « brute », « totale » ou « absolue ») représente la proportion d’individus en mobilité sociale par rapport à leur père (pourcentage total des hommes de 40-59 ans qui n’ont pas le même statut social que leur père).
2. Les tables de destinées.
Une table de destinée se construit à partir de la table de mobilité brute. Elle est exprimée en pourcentage. Elle permet d’indiquer ce que deviennent les individus. Elle permet de répondre à la question suivante : « Que sont devenus les fils de telle ou telle catégorie ? ». En partant des pères, on s’intéresse donc au destin des fils. La lecture se fait se fait généralement en ligne et dans le sens père/fils. ▲Attention vous pouvez également avoir des tables de mobilité (brute, destinée, recrutement) qui se lisent dans l’autre sens !
Pour la suite du cours, j'ai choisi de travailler sur des tables de mobilités mixtes qui prennent également en compte la mobilité sociale des femmes et pas seulement des hommes. Il est cependant fort probable qu'à l'examen, si vous croisez une table de mobilité, elle ne prenne que la destinée des fils.
Note : la table de destinée et de recrutement qui suivent ont été construites à partir des enquêtes Emploi de 2010 à 2014 et sont conformes à l'approche classique de construction des tables de mobilité. Elles fournissent des données statistiques récentes sur la mobilité intergénérationnelle brute des actifs (hommes et femmes) nés entre 1955 et 1979 et donc âgés de 35 à 59 ans en 2014.
La mobilité intergénérationnelle des actifs au début des années 2010
Les tables statistiques de mobilité sont l'outil classique d'analyse de la mobilité sociale mais le panorama social qu'elles dessinent tient dans une large mesure aux catégories de classement ...
Lecture: Sur 100 fils et filles d’ouvriers, 1 devient agriculteur, 6 artisans, 8 cadres, 20 professions intermédiaires, 34 employés, 32 ouvriers.
Sur la table de destinée, la diagonale met en avant la reproduction sociale : ce sont les fils et filles d’agriculteurs qui sont devenus agriculteurs, les fils et filles d’ouvriers qui sont devenu ouvrier etc... Autrement dit, les enquêtés ont eu la même destinée que leurs pères.
La ligne « ensemble » représente la structure des emplois à la génération des fils.
3. Les tables de recrutement (ou origines).
Une table de recrutement se construit à partir de la table de mobilité brute. Elle est exprimée en pourcentage. Elle permet d’indiquer d’où sont issus les membres d’une catégorie sociale. Elle permet de répondre à la question suivante : « Que faisaient les pères des enfants dans telle ou telle catégorie ? ».
En partant des catégories socioprofessionnelles, on s'intéresse aux pères. La lecture se fait en se fait généralement en colonne dans le sens fils/père. ▲Attention vous pouvez également avoir des tables de mobilité (brute, destinée, recrutement) qui se lisent dans l’autre sens !
Lecture: Sur 100 ouvriers, 10 ont un père agriculteur, 10 ont un père artisan, 4 ont un père cadre, 9 ont un père profession intermédiaire, 9 ont un père employé, 58 ont un père ouvrier.
La diagonale représente les individus qui appartiennent à la catégorie de leur père. Cette diagonale rend compte de l’autorecrutement.
La dernière colonne nous donne la structure des emplois à la génération des pères.
C) Apports et limites des tables de mobilité.
Les tables de mobilité constituent des instruments statistiques stabilisés permettant de mesurer la mobilité intergénérationnelle et d'apprécier ainsi la mobilité ou la rigidité de la structure sociale. Elles permettent d'effectuer des comparaisons historiques. Néanmoins, comme tout instrument statistique, elles reposent sur des conventions qui ont des limites.
Le choix de la nomenclature a des conséquences sur ce qu'on observe : plus elle est détaillée (c'est-a-dire plus il y a de catégories), plus il y a de chances de changer de catégorie, donc plus la mobilité sociale sera apparente et inversement. Ainsi, disposer de tables de mobilité avec 6 PCS implique une mobilité plus importante que si on raisonnait avec 3 groupes (ou classes) comme dans le cours sur la structure sociale (ex:classe populaire).
De plus, la question de l'homogénéité des PCS se retrouve quand on analyse la mobilité sociale. Ainsi certains changements de profession ne sont pas observables, car les deux métiers appartiennent à la même PCS. Par exemple, le professeur de lycée et le professeur d'université font tous les deux partie de la PCS 3, le boulanger et le chef d'une grande entreprise font tous les deux partie de la PCS 2... En revanche, certains changements de PCS ne traduisent pas une évolution réelle de la position de l'individu dans la société (ex garagiste salarié / à son compte). Plus généralement, il est parfois difficile de hiérarchiser les professions et les PCS, et leur prestige évolue dans le temps (exemple du professeur de lycée).
Ensuite, les enquêtes Formation et qualification professionnelle à partir desquelles sont réalisées les tables de mobilité interrogent des personnes de 40 à 59 ans, parce qu'après 40 ans la mobilité professionnelle est plus faible. Si on étudiait les plus jeunes, on ne pourrait observer leur évolution professionnelle. Les positions sociales du fils et du père sont donc repérées au même moment de leur trajectoire respective stabilisée. La comparaison des deux positions, est, de ce fait, plus significative. C’est une convention française. Mais cela pose problème, car on ne peut étudier la situation des plus jeunes, donc on étudie les changements avec du retard.
Par ailleurs, les tables ne prennent pour l'instant en compte que les hommes, or il y a des choses à dire sur les femmes. Par ailleurs, cela ne permet pas de prendre en compte le lien essentiel entre le diplôme de la mère et celui obtenu par le fils.
Enfin, l'étude la mobilité repose sur des enquêtes quantitatives (statistiques), mais la recherche qualitative apporte d'autres éléments, par la reconstitution par entretiens des parcours de vie et des histoires familiales ce que l'on ne peut voir dans les tables de mobilités.
II] La société française est-elle mobile ?
A) La mobilité sociale augmente-t-elle ?
1. Il faut distinguer mobilité observée (mobilité absolue) et fluidité sociale (mobilité relative).
La mobilité structurelle est la mobilité engendrée par les modifications de la structure des emplois entre deux générations. C'est donc la mobilité qui est induite par les changements des places à pourvoir dans les catégories socioprofessionnelles entre la génération des pères et celle des fils. Par exemple, la baisse de la part relative des agriculteurs dans la population active entraîne mécaniquement qu’une partie de leurs enfants change de catégorie sociale. Il en est de même pour les cadres, dont les effectifs augmentent : une partie des cadres doit nécessairement se recruter hors des fils de cadres.
Pour la constater on compare les marges (ligne ensemble et colonne ensemble). Entre la génération des pères et celle des fils la répartition socioprofessionnelle n’est plus la même ; certains enfants devront donc changer de profession car les places sont insuffisantes ; c’est une mobilité contrainte.
La mobilité nette est celle qui ne s’explique pas par l’évolution de la structure des emplois. Elle est égale à la mobilité totale (ou mobilité brute) moins la mobilité structurelle.
La fluidité sociale ou mobilité relative mesure la force du lien entre origine et position sociale, c'est-a-dire mesure des chances respectives d'atteindre telle ou telle position sociale selon son origine sociale. C'est la mobilité d’une catégorie sociale par rapport à une autre.
La fluidité sociale se mesure grâce aux rapports des chances relatives appelés aussi odds ratio : par exemple, on calcule qu'un fils de cadres a x fois plus de probabilité (« chance ») d’appartenir à la catégorie des cadres qu’un fils d'employé. La société sera qualifiée de plus fluide si le rapport de chances relatives diminue, donc que l'origine sociale influence moins la position sociale des individus donc d'accéder à des positions convoitées plutôt qu’à des positions moins valorisées dans l’espace social hiérarchisé.
Lecture des odds ratio ou rapport des chances relatives. On fait le rapport entre, d’une part, la probabilité (« chance ») pour un fils de cadre de devenir cadre plutôt que de devenir autre chose que cadre et d’autre part, la probabilité (« chance ») pour un fils d’employé de devenir cadre plutôt de devenir autre chose que cadre. Cela signifie qu’ un fils de cadre a x fois plus de chance de devenir cadre qu’un fils d’employé n’a de chance de devenir cadre lui-même. Plus le résultat est proche de 1 plus cela signifie que les chances relatives sont égales.
2. l’évolution de la mobilité sociale et de la fluidité sociale.
Mobilité sociale structurelle et nette en 1953, 1977, 1993 et 2003 (en %).
L'évolution de la fluidité sociale :
l'exemple des enfants de cadres et d'ouvriers (en %).
La fluidité sociale ou mobilité relative : mesure la force du lien entre origine et position sociale, c'est-a-dire mesure des chances respectives d'atteindre telle ou telle position sociale selon son origine sociale. C'est la mobilité d’une catégorie sociale par rapport à une autre.
Globalement, la fluidité sociale a augmenté de 1977 à 2012 : on voit que le rapport de chances de devenir ouvrier pour un fils d'ouvrier relativement à un fils de cadre est passé de 17,2 à 9,9. Le rapport de chances de devenir cadre pour un fils de cadre relativement à un fils d'ouvrier est passé de 20,1 à 10. La distance sociale entre les cadres et les ouvriers s'est réduite. Néanmoins, on peut voir que depuis 2003, la fluidité diminue.
Cependant, un enfant d'ouvrier a tout de même dix fois plus de chance de devenir ouvrier qu'un enfant de cadre : un enfant de cadre à tout de même dix fois plus de chance de devenir cadre qu'un enfant d'ouvrier. Bien que les chances relatives de la catégorie ouvrier aient augmenté, la société française semble demeurer encore très inégale en ce qui concerne les chances d'accéder à un certain statut social en fonction de son origine sociale.
B) Ascension sociale et déclassement.
L'évolution de la mobilité sociale ascendantes et descendantes (en %).
Entre 1983 et 2003, si l’on prend les hommes et les femmes âgés de 30 à 59 ans, la proportion de personnes en ascension sociale est passée de 37,7 à 38,7 %, soit une augmentation d'un point de pourcentage. Mais, la part de ceux qui sont descendus dans la hiérarchie sociale par rapport à leurs parents est passée de 18,6 à 21,9 %, soit une hausse de trois point de pourcentage. Le rapport entre ceux qui montent et ceux qui descendent est passé de 2,2 à 1,77.
Les trajectoires descendantes ont fortement augmenté et plus rapidement que la part d'individus en ascension sociale, au point que la probabilité de connaître une mobilité descendante devient presque aussi importante que celle de connaître une mobilité ascendante (Le coefficient multiplicateur se rapproche de 1).
La notion de déclassement à trois sens :
-
déclassement intergénérationnel (mobilité intergénérationnelle descendante) : quand un enfant occupera une position sociale moins élevée que celle de ses parents. Par exemple un fils de cadre qui devient profession intermédiaire.
-
déclassement intragénérationnel (mobilité intragénérationnelle descendante) : quand un individu occupera une position sociale moins élevée que celle qu'il occupait auparavant. Par exemple un cadre qui devient profession intermédiaire au cours de sa vie.
-
déclassement scolaire : avoir une position sociale moins valorisée que ce que son diplôme laissait espérer. Par exemple, un diplômé à bac + 2 qui devient caissier.
Déclassement social : descente d’un individu dans l'échelle sociale. Le déclassement peut être intergénérationnel (position d’un individu inférieure à celle de ses parents), intragénérationnel (passage au cours d’une carrière à un groupe social moins élevé), ou scolaire (l’individu possède un emploi inférieur à ce que son diplôme le laissait espérer). Ce phénomène est en partie lié à la dévalorisation relative de certains diplômes.
C) Déclassement ou peur du déclassement ?
1. Pour Eric Maurin, il faut avant tout parler de peur du déclassement.
Le déclassement intragénérationnel est très exagéré: cela n'a touché que 1 % de la population au plus fort de la crise (400 000 emplois en 2009 sur près de 40 millions d'actifs). C'est une réalité douloureuse mais marginal. La peur du déclassement ne s'explique donc pas par la probabilité d'être déclassé mais par la peur de l'ampleur de la conséquence du déclassement en terme de perte de statut. En effet, perdre son emploi signifie la plupart du temps connaître une période de chômage de longue durée ou devoir accepter un emploi parfois plus faiblement qualifié et perdre en condition de vie.
2. Pour Louis Chauvel, le déclassement est une réalité.
Pour Chauvel, le déclassement intergénérationnel est avéré. Si la mobilité ascendante reste supérieure, il faut prendre en considération le phénomène de mobilité sociale descendante et son vécu par les individus. Même un niveau de diplôme élevé ne permet pas de maintenir sa position sociale par rapport au parent (voir paradoxe d'Anderson). On retrouve l'analyse générationnelle. Dans Les Classes moyennes à la dérive, en 2006, il montre que la valeur des diplômes a très fortement décliné par rapport à ce que ces diplômes auraient donné trente ans plus tôt. En effet, notamment au sein des nouvelles générations de jeunes, ce n'est pas en ayant simplement des diplômes que l'on est sûr de se loger décemment ou de trouver une place dans la société semblable à celle de ses propres parents.
D) Le rôle du diplôme dans la mobilité sociale : le paradoxe d'Anderson.
1. Le paradoxe d'Anderson semble expliquer le déclassement.
Alors que de plus en plus de personnes accèdent à l'enseignement secondaire et supérieur, il y a parallèlement une hausse du déclassement (mobilité sociale descendante) donc une hausse de personnes ayant une position sociale inférieur à leurs parents, alors même qu'ils ont un niveau de dipôle supérieur.
Mis en évidence par le sociologue américain Charles A. Anderson en 1961, Le paradoxe d’Anderson montre que le fait de posséder un niveau de diplôme supérieur à celui de ses parents ne garantit pas de se trouver dans une position sociale plus élevée que la leur.
Le paradoxe d'Anderson peut s'expliquer par le fait que le niveau d'études de la population (la qualification des travailleurs) a augmenté plus vite que le niveau de qualification exigé par la structure des emplois (la qualification des emplois).
Le paradoxe d'Anderson permet d'expliquer le déclassement scolaire et le déclassement intergénérationnel. La rentabilité sociale et économique des diplômes a baissé : le même diplôme, à une génération d'écart, ne permet plus d'accéder aux mêmes types de positions socioprofessionnelles.
2. Cependant, le diplôme semble garder de la valeur.
Pour Maurin, jamais les diplômes n'ont été aussi déterminants pour l'obtention de statuts au sein de la société. En 2008, le chômage parmi les diplômés du supérieur est inférieur à 10%. Pour les non diplômés, il monte à 50 %, soit un écart de 40 points. La différence n'était que de 10 points au milieu des années 1970.
L'enjeu de la compétition scolaire n'a jamais été aussi élevé, les diplômes ont pris une valeur importante. C'est particulièrement angoissant pour les familles.
III] La mobilité s'explique par l'évolution de la structure d'emploi, le rôle de l'école et de la famille.
A) Évolution de la structure socioprofessionnelle et mobilité structurelle.
Évolution des PCS dans la population active.
On observe une baisse de la part des ouvriers, des agriculteurs et des artisans, commerçants, chefs d’entreprise depuis les années 70. A l'inverse, la part des professions intermédiaires, des cadres et professions intellectuelles supérieures et des eployés augmente dans la population active.
Cela s’explique par des transformations qui ont lieu dans l’après-guerre au cours des Trente glorieuses, tant dans les différents secteurs d'activités que dans la généralisation du salariat (donc baisse des indépendants ) :
- Déclin du secteur primaire : développement du machinisme (machines agricoles) qui permet d’augmenter la productivité tout en réduisant la main d’œuvre. Le nombre d’agriculteurs diminue au cours de cette période.
- Déclin de l’emploi industriel (désindustrialisation) : du fait du progrès technique et du développement des machines. Des délocalisations entraînent également une diminution du nombre d’ouvriers.
- Développement du secteur tertiaire (tertiarisation) : développement du secteur des services : le groupe des employés augmente ainsi que les PI et les CPIS.
Les transformations de la structure professionnelle (mobilité structurelle) constituent une part de plus en plus importante des cas de mobilité observés. En effet, certains types de profession sont de moins en moins accessibles. Par exemple, même s'ils l’avaient tous souhaité, les fils d’agriculteurs n’auraient pas pu reprendre la profession de leur père, faute d’exploitations agricoles suffisantes. Réciproquement, les PCS dont les effectifs augmentent ne peuvent pas recruter leurs membres uniquement parmi leurs fils.
B) Le rôle de l'école dans la mobilité sociale.
1. L'école permet la mobilité sociale grâce à l'accès au diplôme.
Il est indéniable que le système scolaire s'est démocratisé puisque de plus en plus d'individus accèdent au baccalauréat, toutes catégories socioprofessionnelles confondues. L'école permet la mobilité sociale dans la mesure où l'école est accessible à tous, les études sont gratuites, les systèmes de bourses limitent l'inégal accès. Grâce au diplôme, les individus peuvent améliorer leurs conditions d'existences. Pour le sociologue Tristan Poullaouec, le diplôme reste la meilleure arme des faibles.
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Louis Chauvel, le sociologue qui a vu notre lose dans ses graphes
Sans doute l'essai de sociologie le plus riche et déprimant de l'année, "La spirale du déclassement" de Louis Chauvel veut nous faire passer un message: faute de sortir du déni, le déclassemen...
http://www.slate.fr/story/126821/louis-chauvel-sociologue-lose-graphiques
2. L'origine sociale influence le devenir scolaire.
Niveau scolaire atteint par les élèves selon leur origine sociale.
« Les parcours dans l’enseignement supérieur : devenir après le baccalauréat des élèves entrés en sixième en 1995 », ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, juin 2012.
Malgré la démocratisation scolaire, il reste un lien entre l'origine social et le diplôme obtenu. Par exemple, seul 4 % des enfants ouvriers non-qualifiés entrés en 6ème en 1995 ont obtenus un bac +5, 7 % pour les enfants d'ouvriers qualifiés, 20 % pour les enfants de professions intermédiaires mais 41 % pour les enfants de CPIS. Inversement, seul 13 % des enfants de CPIS entrés en 6ème en 1995 ont obtenus un diplôme inférieur au bac, 24 % des enfants de PI, 48 % des enfants d'ouvriers qualifiés, 60 % des enfants d'ouvriers non-qualifiés. Seul 20 % des enfants d'ouvriers non qualifiés entrés en 6ème en 1995 ont un diplôme égal ou supérieur à un bac+2, 31 % des enfants d'ouvriers qualifiés, 35 % des enfants d'employés.
Pierre Merle nomme cela la démocratisation ségrégative : l’école se démocratise dans la mesure où désormais tout les groupes sociaux ont accès au lycée et aux études supérieurs, mais il y a des phénomènes de ségrégation car l’origine sociale des élèves et étudiants a un effet sur leur orientation scolaire et leur poursuite d’étude.
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Les définitions des termes et indicateurs statistiques de l'éducation nationale
Absentéisme Pour mesurer l'absentéisme des élèves soumis à l'obligation scolaire, le seuil de quatre demi-journées d'absence non justifiées par mois a été retenu. Il correspond au seuil fi...
Dans certaines études de l'éducation nationale, on trouve la notion d'origine sociale. Elle correspond au regroupement des professions et catégories socioprofessionnelles en quatre groupes : - Très favorisée : chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus, cadres et professions intellectuelles supérieures, instituteurs, professeurs des écoles. - Favorisée : professions intermédiaires (sauf instituteurs et professeurs des écoles), retraités cadres et des professions intermédiaires. - Assez défavorisée : agriculteurs exploitants, artisans et commerçants, employés. - Défavorisée : ouvriers, retraités ouvriers et employés, inactifs (chômeurs n'ayant jamais travaillé, personnes sans activité professionnelle).
3. Par ailleurs, l'école favorise la reproduction sociale.
L'école considère les élèves comme égaux et ne prend pas en compte le capital culturel des élèves. Cependant, l'école valorise un type particulier de culture, de savoir-faire, voire de savoir être qui est en grande partie transmis par la famille. Les milieux sociaux les plus éloignés des attentes de l'école ont donc plus de difficulté à percevoir les enjeux scolaires, à s'y conformer et donc à valider les diplômes.
P. Bourdieu distingue quatre formes de capitaux qui vont structurer l'espace social: Le capital économique, sociale, symbolique et culturel. Le capital culturel est l'ensemble des ressources culturelles ; il peut exister sous trois formes :
- disposition corporelles (« capital culturel incorporé ») : capacité à s'exprimer en public, aisance orale qui reflète le capital culturel hérité (transmis par la socialisation, notamment primaire).
-
bien culturel (« capital culturel objectivé ») : possession d’œuvre d'art, de meubles de style, etc.
-
institutionnel (validé par des institutions, « capital culturel institutionnalisé») : le diplôme par exemple.
Selon P. Bourdieu, l'école est un instrument de reproduction sociale car ce qui est valorisé à l'école n'y est pas nécessairement enseigné. Par exemple, a prise en compte par l'école (lors des évaluations) du niveau de langue et des exigences de forme crée des inégalités car leur maîtrise dépend pour une large part de la complexité de la langue transmise par la famille. Par conséquent, les classes populaires, qui disposent d'un capital culturel incorporé et objectivé moins fort que les classes supérieures réussissent moins bien à l'école.
Pour Bourdieu, l’école transforme les inégalités sociales en inégalités scolaires, qui a leur tour sont à l'origine d'inégalités sociales. L’idéologie méritocratique légitime cette sélection : l'école étant égalitaire et gratuite, tout le monde est censé réussir selon son effort dans le travail. Si l'on ne réussit pas, ce serait par manque de travail : on a donné les mêmes chances à tout le monde. L'école joue donc un rôle de légitimation et de naturalisation des inégalités : elles apparaissent comme acceptable.
C) Le rôle de la famille dans la mobilité sociale.
1. La position sociale des parents détermine l'éventail des possibles.
Pour Boudon, la cause la plus importante de l'inégalité des chances scolaires est que les familles et les adolescentes tendent à déterminer leurs ambitions et leurs décisions en matière scolaire en fonction de leur position sociale : ce qui est un échec pour une famille est une réussite sociale pour une autre. Les attentes sur le niveau d’étude considéré comme acceptable varient selon le milieu social de la famille. Des parents instituteurs seront globalement satisfait si leur enfant devient professeur du secondaire ; un professeur d'université risque d'en être déçu. De même, une fille d'instituteur aura facilement l'impression d'avoir réussi si elle devient elle-même professeur dans le secondaire. Cela ne sera pas le cas pour le fils d'un professeur d'université.
2. La mobilisation familiale est déterminante dans la réussite scolaire et l’insertion professionnelle.
Les familles s’investissent pour permettre la réussite des enfants de trois manières:
-
Dépenses de scolarisation : cours particuliers, écoles privées…
-
Stratégies résidentielles : comportement stratégique de la part des parents qui s’installent dans un quartier pour pouvoir inscrire leur enfant dans le « bon » établissement scolaire du secteur ;
-
Contournement de la carte scolaire pour permettre à ses enfants d’aller dans le « bon » établissement, notamment par le choix des options.
L’investissement scolaire est inégal selon le milieu social. Par exemple, les familles de professions libérales dépensent quatre fois plus pour la scolarité de leurs enfants que les familles ouvrières : le capital économique permet d'accompagner la scolarité (cours particuliers, séjours linguistiques…).
Les parents plus fortement diplômés peuvent davantage assister leurs enfants dans leur scolarité (exemple des enfants d'enseignants) : effet du capital culturel.
Par ailleurs, les catégories sociales les plus favorisées prolongent leurs avantages au-delà du diplôme : l'insertion professionnel, à diplôme équivalent, est rendu plus aisé par le capital social de la famille, c'est à dire par l'ensemble des relations sociales dont dispose un individu ou un groupe qui peuvent être utilement mobilisé.
Les interactions entre école et famille permettent d'expliquer les réussites paradoxales et les méshéritiers. La réussite paradoxale est le fait que certains élèves dont les caractéristiques socio-culturelles (origine sociale, lieu de résidence...) prédisposent à l'échec scolaire, connaissent des réussites brillantes. Les réussites paradoxales sont avant tout liées « au rapport au savoir » des milieux populaires : les personnes, bien qu'ayant un faible capital culturel, vont investir beaucoup de temps et d'attention envers les résultats scolaire de leurs enfants (aides aux devoirs, attention aux notes, les liens avec les professeurs), afin de leur permettre une mobilité sociale ascendante.
De même il existe des « méshéritiers » : des élèves en difficulté alors que leurs parents sont fortement diplômés).
3. Le choix du conjoint participe à la reproduction sociale.
L’homogamie sociale est la tendance à se mettre en couple avec une personne du même groupe social ou dans un milieu proche. Elle se distingue de l’hétérogamie.
On peut expliquer l'homogamie sociale par les lieux de rencontre : lieu de travail, école, sorties culturelles. Les classes supérieures se rencontrent davantage dans des lieux privés (amis…) alors que les classes populaires se rencontrent davantage dans des lieux ouverts. Par ailleurs, les raisons qui font que deux personnes s’accordent tient également du fait qu’ils partagent le même capital culturel : même langage, mêmes comportements vestimentaires, mêmes références culturelles, mêmes préférences culturelles…
L’homogamie sociale participe à la reproduction sociale car le couple est le lieu de l’éducation des enfants et de la transmission du capital culturel. Si les parents viennent du même milieu social, les enfants partagerons leur culture, notamment car la transmission est plus homogène que dans un couple hétérogame.