Voter : une affaire individuelle ou collective ?
Spécialité sciences économiques et sociales SES en classe de première.
Voter: une affaire individuelle ou collective?
Objectifs :
- Être capable d’interpréter des taux d’inscription sur les listes électorales, des taux de participation et d’abstention aux élections.
- Comprendre que la participation électorale est liée à divers facteurs inégalement partagés au sein de la population (degré d’intégration sociale, intérêt pour la politique, sentiment de compétence politique) et de variables contextuelles (perception des enjeux de l’élection, types d’élection).
- Comprendre que le vote est à la fois un acte individuel (expression de préférences en fonction d’un contexte et d’une offre électorale) et un acte collectif (expression d’appartenances sociales).
- Comprendre que la volatilité électorale revêt des formes variées (intermittence du vote, changement des préférences électorales) et qu’elle peut refléter un affaiblissement ou une recomposition du poids de certaines variables sociales, un déclin de l’identification politique (clivage gauche/droite notamment) et un renforcement du poids des variables contextuelles.
Notions à connaître : taux de participation électorale; taux d'abstention; taux d'inscription; cens caché (D. Gaxie); abstentionnisme dans le jeu/hors-le jeu; variables lourdes du comportement électoral; identification politique; volatilité électorale; vote sur enjeu; Clivage gauche-droite; libéralisme économique / libéralisme culturel
Questionnements du chapitre :
- Est-ce que tout les électeurs votent ?
- Qu'est-ce qui peux expliquer l'abstention ?
- Pourquoi les individus votent pour un parti particulier ?
- Pourquoi les individus peuvent voter pour des programmes différents au cours du temps ?
I] Les facteurs explicatifs de la participation électorale.
Schéma de la participation électorale.
La participation électorale est le comportement d'un électeur inscrit exerçant son droit de vote. Il se mesure par le taux de participation électoral qui est la proportion des individus inscrits qui sont allés voter (même s'ils votent blanc ou nul).
L'abstention électorale est la décision d'un électeur régulièrement inscrit sur les listes électorales de ne pas se rendre aux urnes à l'occasion d'un scrutin. Il se mesure par le taux d'abstention qui est la proportion des individus inscrits sur les listes électorales et qui ne participent pas au scrutin.
Ainsi, le taux de participation et le taux d'abstention sont égal à 100%. Cependant, pour pouvoir voter, il faut être inscrit sur les listes électorales. Le taux d'inscription est la proportion des individus en droit de voter qui sont inscrit sur les listes électorales. En France, même si depuis 1997, les jeunes ayant 18 ans lors d’une année électorale sont automatiquement inscrits sur les listes, le taux de non inscription est estimé à environ 10 %, ce qui signifie qu’un français sur 10, en âge et en droit d’être électeur ne l’est pas en raison d’une non inscription.
A) Participation électorale et variable sociale.
Le second tour des présidentielles de 2022 ont été marqué par un fort taux d’abstention. Cela s’explique en partie par des consignes de votes de ne pas voter chez certains partis de ne pas choisir entre les deux candidats ou bien aucune consigne pour d’autres. En effet, par exemple 40 % des partisans de Jean-Luc Mélenchon n’ont pas voté au second tour. L'abstentionniste-type fait partie des catégories populaires (revenus modestes, peu diplômé, chômeur ou ouvrier), plutôt jeune et non catholique. (Remarque : même profil que le non inscrits sur les listes électorales). Les variables sociale peuvent alors expliquer la participation électorale et l'abstention. Néanmoins, aux dernières présidentielles, bien que l'on retrouve les caractéristiques sociologiques habituels des abstentionnistes, ils sont beaucoup moins marqués. En effet, plus les personnes sont jeunes, plus elles ont de chance de s’abstenir. Le niveau de revenu impacte également beaucoup la participation électorale. En effet, plus les individus ont des revenus faibles plus ils s’abstiennent (40 % de ceux qui perçoivent moins de 1250e). La religion a également un impacte significatif puisque les catholiques votent plus que les non catholiques (autres religions ou sans religion). Cependant, la PCS et le niveau d’étude qui influence traditionnellement l’abstention a un taux homogène d'abstentionniste. Au dernières présidentielles les cadres se sont beaucoup plus abstenus qu’habituellement. Ils sont 33 % à s’être abstenus, autant que les ouvriers. Le niveau de diplôme à également peu impacter la participation électorale.
Avant 1848 et l'instauration du suffrage universel masculin, en France le suffrage était censitaire : le droit de vote était conditionné par le niveau de richesse, seuls pouvaient voter ceux qui payent le cens (l'impôt). Aujourd'hui, le suffrage est universel mais il existe un cens caché dans la mesure où il y a un accès inégal à la compréhension de la chose publique : certains individus s'auto-excluent de la participation politique, car ils s'estiment incompétents, ils ne se sentent pas autorisés à émettre une opinion politique. Cette expression vient de l'ouvrage de Daniel Gaxie, Le Cens caché, 1978. La participation et l’abstention sont donc liées à un sentiment de compétence politique : les personnes qui s’intéresse le plus à la politique et qui se jugent compétents pour exprimer leurs opinions politiques sont celles qui votent le plus. On peut néanmoins distinguer les abstentionniste hors-jeu des abstentionnistes dans le jeu.
Les abstentionnistes hors-jeu sont peu intéressés par la vie politique, ont peu de repères politiques. On y retrouve une sur-représentation de PCS populaires, de chômeurs et de non diplômés. Cet abstentionnisme peut être rattaché à celui analysé par Gaxie, mais Muxel montre que ce n'est pas la seule explication de l'abstention. Les abstentionnistes dans le jeu s'intéressent à la politique, sont davantage diplômés, mais ils ont une attitude protestataire vis-à-vis de l'offre politique. L'abstention peut ainsi être un signe protestataire : la personne ne vote pas car elle rejette l'offre politique existante (personne ne mérite que je me déplace).
Par ailleurs, l’abstention peut être le signe d’une faiblesse de l’intégration sociale : les non-diplômés, les populations les plus pauvres, les immigrés, les chômeurs sont plus faiblement intégrés à la société française (déficits de protection et déni de reconnaissance, voir chapitre sur le lien social), et peuvent ne pas se sentir concernés par les enjeux électoraux – croire que les résultats des élections ne changeront pas leur condition.
B) Participation électorale et contexte politique.
On constate une hausse de l'abstention depuis le début de la Ve République : quelque soit le scrutin, l'abstention a eu tendance à nettement augmenter depuis 50 ans. (Tendance générale mais il y a des exceptions : ex les élections présidentielles de 2007 ont fortement mobilisé l'électorat.) Néanmoins, l'abstention est plus ou moins forte selon les scrutins : les électeurs votent plus massivement pour les élections perçues comme ayant un fort enjeu et où ils connaissent les candidats (abstention moins forte pour la présidentielle et les municipales, forte pour les législative et très forte pour les européennes).
Les taux d’abstention au premier tour des élections présidentielles, municipales et européennes en France de 1958 à 2014, en pourcentage des électeurs inscrits
« L’abstention en hausse depuis 1958, la présidentielle toujours mobilisatrice », Le Monde, mars 2017.
On peut expliquer le comportement des abstentionnistes par des raisons politiques, l’abstention est d’autant plus forte que :
- les électeurs sont peu convaincus de l’importance du scrutin ( élections présidentielles, élections municipales, élections législatives, élections régionales, élections cantonales et élections européennes ) ;
- Il n'y a rien de nouveau dans les propositions des candidats;
- Les candidats ne sont pas à la hauteur de la fonction;
- les résultats de l’élection semblent acquis ;
- la fréquence des consultations est forte (exemple de la Suisse avec de nombreux référendums qui peuvent démobiliser les citoyens) ;
- la notoriété des candidats est faible ;
- les programmes politiques sont peu différenciés ou ne plaisent pas.
Ainsi, en 2017 et 2022, une partie de l’abstention s’explique par un refus de choisir entre les deux candidats qui reste présents au second tour des présidentiel. Les électeurs qui votent habituellement à gauche ont parfois choisi de ne pas se déplacer pour voter mais également de voter nul ou blanc. Pour certains encore, les résultats étaient joués d’avance et n’ont pas considéré que l’enjeu nécessité qu’ils se déplacent.
/https%3A%2F%2Fwww.liberation.fr%2Fresizer%2FQfYbNhXa3HHUPylCB8JfrRtTMaY%3D%2F1200x630%2Ffilters%3Aformat%28jpg%29%3Aquality%2870%29%3Afocal%281365x1975%3A1375x1985%29%2Fcloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com%2Fliberation%2FBOB4F3NZFFEMNHTC2VVB376W2I.jpg)
"2022, voyage au centre de l'abstention": Libé donne la parole à ceux qui ne veulent plus voter
Jusqu'au 10 avril, nos reporters et correspondants iront et retourneront voir ces Français qui ont prévu de bouder les urnes. De Nice à Saint-Brieuc, ils leur donneront la parole pour comprendre...
II] Le vote dépend de plusieurs déterminants.
A) Le vote est un acte individuel.
Le vote est un acte individuel puisqu’il reflète les préférences des individus. Les électeurs doivent comparer les différentes offre électorale, c’est-à-dire les différents partis et candidats qui se présentent lors de l’élection. Ils regardent leur programme politique (ou électoral) qui rassemble des mesures que le candidat souhaite mettre en place s’il remporte l’élection. Cela reflète les valeurs qui sont portées par ce dernier ou par le parti politique qu’il représente. Les individus votent donc principalement en fonction de leurs valeurs qu’ils peuvent retrouver dans l’offre électorale mais également en concordance avec leurs intérêts matériels. Par exemple, quelqu’un qui a beaucoup de patrimoine ne sera pas favorable à l’augmentation des impôts sur la propriété.
B) Les variables lourdes permettent d'expliquer l'orientation électorale et montrent que le vote est également un acte collectif.
Ce sont les variables lourdes qui influencent le vote principalement. En effet, le sexe est une variable qui influence peu le vote gauche/droite. (Remarque : en revanche, les femmes ont tendance à moins voter pour les extrêmes.). Néanmoins, l'âge influence le vote : plus on est âgé, plus on a tendance à voter à droite. Cependant, les jeunes ne votent pas toujours à gauche, cela dépend des scrutins. Par exemple, en 1995, les jeunes avaient majoritairement voté Chirac. Toutefois, l'âge et le sexe ne sont pas de réelles variables explicative du vote, ce n’est pas l'âge biologique, mais les étapes de la vie qui sont différentes et qui explique le vote à droite des personnes les plus âgées.
Ainsi, les variables sociologiques (variables lourdes) influencent le comportement électoral et sont prédictive du vote. Selon la religion, le niveau de diplôme, le niveau de revenu / de patrimoine ou la profession, la probabilité est plus on moins forte de voter à droite ou à gauche, de voter ou de s'abstenir, etc. Les indépendants votent très fortement à droite alors que les salariés votent majoritairement à gauche. L'influence du diplôme sur le vote est complexe et ambiguë : les peu diplômés votent souvent plus pour les extrêmes, mais on ne peut pas dire que plus on est diplômés plus on vote à droite. Ensuite, Le niveau de revenu influence fortement le vote : plus les individus ont des revenus importants, plus ils votent à droite. Le patrimoine semble avoir une influence encore plus forte que les revenus. Plus les individus possèdent de patrimoine (livrets d'épargne logement, actions, etc.), plus ils votent à droite. Cela explique alors pourquoi les personnes plus âgées et les indépendants, qui ont davantage de patrimoine, votent plus à droite. Enfin, la pratique religieuse influence fortement le vote : les catholiques votent majoritairement à droite, surtout quand ils sont pratiquants (mais votent moins pour les extrêmes) ; les autres religions (notamment musulmans) votent à gauche, de même que les personnes sans religion.
La socialisation des individus va avoir une influence sur les valeurs qu’ils possèdent. Ainsi, la famille étant l’instance de socialisation qui a le plus de poids dans la construction des valeurs de l’individu, les personnes constituant la famille (nucléaire) votent majoritairement de façon très similaire : ils sont placés sur le même côté de l’axe gauche/droite. (Voir le reportage Famille, dispute et politique de Anne Muxel paru en 2012).
La socialisation différentielle explique que les individus ne possèdent pas les mêmes valeurs en fonction de leur origine sociale. On peut donc comprendre pourquoi les variables lourdes comme la profession ou la religion influencent le vote. Les individus appartenant aux mêmes groupes sociaux ont plus de chance de posséder les mêmes valeurs est donc de voter de façon semblable (groupe professionnel, groupe religieux, classe sociale, etc.). Les politologues mettaient ainsi en évidence un vote de classe, notamment un vote ouvrier : la classe ouvrière votait très majoritairement à gauche, notamment communiste. Le vote de classe est une variable lourde essentielle. Il peut être défini comme le fait pour un individu de voter en fonction de sa classe sociale d’appartenance. Le problème posé par cette variable lourde est de déterminer quels critères de définition de la notion de classe sociale retenir ? Historiquement, le vote de classe a été assimilé au vote des ouvriers en faveur de la gauche (on a parlé à ce sujet de « vote ouvrier »). Le conflit capital/travail a été une des dimensions essentielles du clivage gauche/droite, les partis de gauche se présentant comme des partis défendant les intérêts du prolétariat (donc du du salariat), longtemps assimilé à la classe ouvrière (les ouvriers ayant longtemps été majoritaires au sein du salariat).
C) Le vote peut aussi s'expliquer par des logiques conjoncturelles.
1. La volatilité électorale.
La volatilité électorale est la tendance pour l'électeur à modifier son vote (voter pour un parti différent d’un scrutin à un autre), ou encore passer du vote à l’abstention (et inversement). Dans le dernier cas on parle d’abstention intermittente, c’est la principale forme de volatilité électorale. Néanmoins, on observe que lorsque les électeurs votent pour des partis différents, il s’agit généralement de partis politiques proches (l’axe gauche/droite et globalement respecté).
2. Le vote sur enjeu permet d'expliquer en partie la volatilité électorale.
Le vote sur enjeux explique que les électeurs sont plus attentifs à l'offre politique du moment et moins sujets au vote de classe. Les électeurs voteraient en fonction des positions des candidats sur des enjeux précis. Ainsi, selon l'enjeu du scrutin, l'électeur peut modifier son choix, ce qui serait une explication de la volatilité électorale. Les électeurs s'intéressent plus à certains enjeux parce qu'ils se sentent plus concernés (ce sont des questions qui les touchent quotidiennement) mais aussi parce que les candidats ont sur ces questions, des avis plus tranchés et donc plus facilement repérables. On explique alors la volatilité électorale par l’apparition d’électeurs plus rationnels, qui voteraient pour des parties différents en fonction de leurs préférences personnelles et de leurs intérêts. Le vote sur enjeux est censé expliqué la volatilité électorale. Les études sociologiques récente montrent qu'en réalité ce sont avant tout les variables lourdes qui priment.
Le contexte politique peut également expliquer le vote. Ainsi, le candidat peut-être plus ou moins charismatique (on peut être plus ou moins séduit par sa personnalité) ; le choix du candidat peut se faire en fonction de l’enjeu du moment (si on est en récession économique et que le chômage augmente, on fait son choix en fonction de la peur du chômage, par exemple) ; il peut être le fait d’une volonté d’équilibre entre les partis (voter à droite au présidentiel et à gauche aux législatives pour ne pas donner tous les pouvoirs au même parti) ; il peut également être lié à ce que l’on attend de chaque type d’élu (on peut voter davantage pour la personnalité d’un maire, et plutôt sur des considérations partisanes pour un président de la République).
3. La volatilité électorale s’explique également par un affaiblissement de l’identification politique.
On observe un affaiblissement de l’identification politique : de plus en plus de personnes ne se sentent plus attaché à un parti politique ou à un camp politique. Le clivage traditionnel entre la gauche et la droite est de moins en moins clair pour les électeurs notamment en terme de valeurs associées à la gauche ou à la droite et aux politiques publiques mises en place durant les différents mandats. (Par exemple, F. Hollande a déçu énormément d’électeurs de gauche avec la loi Travail).
/https%3A%2F%2Fwww.francetvinfo.fr%2Fimage%2F75e7e36nn-b235%2F1500%2F843%2F10802745.jpg)
Lui, président : comment François Hollande a déçu la gauche
"Moi président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité, je ne recevrai pas les parlementaires de la majorité à l'Elysée. Moi président de la République, je ne traiterai pas...