Quelle est l’action de l’École sur les destins individuels et sur l’évolution de la société ?
Introduction : L’École à pour objectif la transmission de savoir et vise à favoriser l’égalité de chances.
Les sociétés démocratiques sont fondées sur la reconnaissances des droits individuels et la suppression des positions sociales héréditaires. Dans ce cadre, l’École a un rôle important à jouer. L’École est l’ensemble des institutions et acteurs qui, de la maternelle à l’enseignement supérieur, composent le système éducatif. Elle doit transmettre des connaissances et des compétences à tous les futurs citoyens, pour permettre de les instruire mais également de les émanciper en pensant par eux-mêmes et en travaillant leur esprit critique.
L’École a aussi une dimension utilitaire, puisqu’elle doit préparer de futures travailleurs et faciliter leur insertion professionnelle de façon égale sur le marché du travail. Pour cela, elle délivre des diplômes qui serviront de signal aux futurs employeurs. L’accès au diplôme permet alors de se prémunir contre le chômage et la précarité de l’emploi et d’avoir accès à une meilleure rémunération
L’École est également une instance de socialisation primaire et secondaire centrale qui permet à l’individu de s’intégrer à la société globale en créant un sentiment d’appartenance collective. Émile Durkheim met en évidence la fonction centrale de socialisation que remplit l’école dans les sociétés modernes. Chez Durkheim, c’est l’instance qui permet de transmettre des normes et valeurs communes à l’ensemble des citoyens et par cela permet de maintenir la cohésion sociale dans les sociétés modernes. C’est pour cela que l’École promeut une langue commune à tous, le respect de la loi, la nécessité de la laïcité et la neutralité idéologique. Jules Ferry s’inspirera du principe d’une « morale laïque » pour promouvoir une école laïque, gratuite et obligatoire à travers deux lois scolaires qui portent son nom : celles qui permet l’école gratuite (1881) et l’autre qui rend l’instruction primaire obligatoire et laïque (1882).
Enfin, la méritocratie fait partie des valeurs importantes de la république française. L’École doit être un instrument de cette méritocratie et doit permettre à tous les futures citoyens l’égalité des chances, c’est-à-dire une situation où la position sociale des individus ne dépend pas de leur origine sociale mais du mérite de chacun. On parle alors de société méritocratique et la mobilité sociale y est possible. La mobilité sociale est la circulation des individus entre différentes positions sociales hiérarchisées. Ici, on parlera principalement de mobilité sociale intergénérationnelle, c’est-à-dire une différence entre la position sociale de l’individu et son origine sociale mesurée par la position sociale de ces parents (principalement de son père). Pour atteindre cette idéal méritocratique, l’École française à connu beaucoup de transformations, qui s’est accompagnée notamment d’une massification et d’une démocratisation scolaire.
I] Les évolutions du système éducatif français permet un accès croissant de la population à l’éducation.
A) Un processus incontestable de massification dans l’enseignement secondaire et supérieur.
Dès le début du XXe siècle, le cloisonnement du système scolaire et son caractère très inégalitaire sont critiqués au nom d’un idéal méritocratique fondé sur l’égalité des chances, c’est-à-dire la capacité à offrir à tous les mêmes chances d’accès à toutes les positions sociales. A partir des année 1950, on observe une massification de l’enseignement secondaire puis de l’enseignement supérieur. La massification scolaire est le processus par lequel l’accès aux études secondaire et supérieur s’est progressivement ouvert à tous les jeunes. Le nombre d’élèves puis d’étudiants ont donc augmenté. On peut mesurer cette massification scolaire par l’augmentation du taux de scolarisation pour les jeunes à partir de 14 ans, c’est-à-dire par la proportion d’élèves d’un âge déterminé inscrit dans un établissement d’enseignement parmi l’ensemble des jeunes de cet âge. Ainsi, entre le début des années 1960 et le milieu des années 1970, le nombre d’élèves scolarisés dans les classes de collège passe d’un peu plus d’un million à trois millions (chiffre relativement stable depuis lors). Tandis qu’en 1958, plus de 30 % des enfants de 14 ans n’étaient plus dans le système scolaire, leur taux de scolarisation est aujourd’hui de plus de 97 %.
Cette massification scolaire est permise par de nombreuses réformes comme la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans en 1959 ( réforme Berthoin) ou la création du collège (1963 : réforme Fouchet Capelle) puis du collège unique en 1975 (réforme Haby). Parallèlement, l’offre scolaire du lycée se développe, avec la création des baccalauréats technologiques en 1968 et des baccalauréats professionnels en 1985. Ces mutations du système scolaire, auxquelles il faudrait ajouter la généralisation de la mixité en 1969, ont pour effet d’augmenter, pour tous les élèves, le temps passé à l’École. Le nombre d’élèves scolarisés dans le secondaire connaît alors une forte augmentation à partir des années 1960 (par exemple, dans les années 1970, on dit qu’il se construit un collège par jour), qui se répercute ensuite dans l’enseignement supérieur. Le taux de scolarisation dans l’éducation nationale des jeunes de 17 ans passe ainsi de 27 % en 1958, à plus de 60 % au milieu des années 1980 puis à plus de 93 % en 2017, celui des jeunes de 21 ans de 20 % en 1985 à 43 % en 2015.
L’augmentation des taux de scolarisation s’accompagne d’une augmentation du taux d’accès à certains diplôme comme le baccalauréat mais aussi à plusieurs formation. Le taux d’accès à un diplôme ou à une formation est la proportion d’élèves d’une même génération, c’est-à-dire nés la même année ou dans la même période, qui obtiennent un diplôme ou accèdent à une formation. L’augmentation du taux d’accès au baccalauréat s’explique en partie permise par la création et le développement des baccalauréats technologiques (1968) et professionnels (1985). En 1985, au moment de la création du bac professionnel, le ministre de l’Éducation Jean-Pierre Chevènement fixe un objectif de 80 % d’une génération au niveau du baccalauréat, toutes filières confondues. Aujourd’hui, cet objectif est atteins, alors qu’au milieu des années 1980 seulement 30 % d’une classe d’âge obtenait le baccalauréat et plus de 60 % dix ans plus tard. Pour ce qui concerne le seul baccalauréat général, le taux d’accès passe de 5 % en 1950 à 20 % en 1986 puis augmente progressivement de 30 à près de 40 % dans les décennies suivantes.
Enfin, la massification dans l’enseignement secondaire va se poursuivre dans l’enseignement supérieur. La France comptait 310 000 étudiants en 1960 ; ils sont plus de 8 fois plus nombreux aujourd’hui (2 678 000 inscrits à la rentrée 2018). Alors que la part des diplômés de l’enseignement supérieur ne dépasse pas 10 % pour les générations nées dans les années 1930, elle s’élève à près de 40 % pour les hommes nés en 1975 et à près de 50 % pour les femmes nées la même année. En 2017, 49,6 % des femmes et 38,7 % des hommes âgés de 30 à 34 ans sont diplômés du supérieur.
B) La massification scolaire n’est pas toujours une démocratisation scolaire.
La démocratisation « qualitative » est inachevée dans la mesure où les écarts selon l’origine sociale n’auraient fait que « se déplacer » tout en se maintenant. En effet, bien que l’accès au secondaire se démocratise, on peut toutefois observer des inégalités d’accès aux types de baccalauréats (général, technologique ou professionnel) ou bien même au spécialités choisis en fonction de son origine sociale. Ainsi, selon Pierre Merle, la massification scolaire s’est ainsi accompagnée d’une « démocratisation ségrégative », l’origine sociale continuant à déterminer fortement les parcours scolaires. En effet, les enfants d’ouvriers sont ainsi surreprésentés dans les filières professionnelles mais aussi dans les SEGPA.
En 2012, parmi les bacheliers enfants de cadres supérieurs, 76 % avaient obtenu un baccalauréat général, 14 % un baccalauréat technologique et 10 % un baccalauréat professionnel. Ces proportions s’établissent respectivement à 31 %, 23 % et 46 % parmi les bacheliers enfants d’ouvriers (MEN, 2012).
Ces inégalités s’observent aussi dans l’accès différencié au supérieur. En 2016, on comptait 72,7 % de diplômés du supérieur parmi les enfants de cadres ou de professions intermédiaires âgés de 20 à 24 ans, contre 44,3 % parmi les enfants d’ouvriers ou d’employés du même âge.
Bien que l’accès aux études supérieur est progresser plus rapidement chez les enfants de classe populaire, les écarts restent importants et l’accès à des études prestigieuses ou longues (bac +5) reste très inégalitaire. En effet, En 2021, on observe 11 % d’enfant d’ouvriers parmi les étudiants contre 35 % d’enfant de cadres supérieur. Ces inégalités sont encore plus importantes dans les CPGE ou dans les grandes écoles. Seulement 7 % des étudiants de CPGE et 2 % des étudiants de l’ENS sont issus de parents ouvriers contre respectivement 53 % et 63 % pour les enfants de cadres supérieur. Les étudiants issus des classes populaires qui font des études se dirigent alors principalement vers des études plus courtes comme des BTS où ils sont surreprésentés.
Pourtant, les diplômes transmis par l’École ont un poids de plus en plus important dans l’accès à des positions sociales valorisées dans la société. Pour Tristan Poullaouec (2007), le diplôme est « l’arme des faibles » puisque c’est grâce à son obtention que les classes populaires peuvent prétendre à une mobilité sociale ascendante.
Pour finir, malgré la massification scolaire, nous observons encore beaucoup d’inégalités de réussite scolaire, qu’elles soit en fonction de milieu sociale des enfants mais aussi de leur sexe. En effet, bien que les filles réussissent globalement mieux à l’école, l’orientation scolaire est genrée. Les garçons se dirigent davantage vers des filières scientifiques et vers des secteurs d’activités qui seront mieux rémunérés comme l’ingénierie ou l’informatique. On peut alors également parler de démocratisation ségrégative pour montrer le cloisonnement genré des différents parcours scolaire.
II] Le rôle de la socialisation familiale dans le maintien des inégalités scolaire.
A) Les inégalités de dotation en capital culturel et d’efficacité dans les investissements scolaires créent des inégalités scolaire
Si la massification scolaire s’accompagne d’une démocratisation très relative, c’est qu’il existe de multiples facteurs d’inégalités de réussite scolaire qui contribuent au maintien de trajectoires de formation socialement différenciées.
Une des explications des inégalités scolaires est pointée par P. Bourdieu et J.C. Passeron dans leur ouvrage Les héritiers (1970). Pour eux, les attentes de l’École ne sont pas socialement neutre. En effet, la culture légitime est la culture que les classes dominantes parviennent à imposer comme légitime dans les institutions et donc à l’École. Cette culture légitime peut être vu comme un capital culturel, c’est-à-dire comme l’ensemble des biens culturels, connaissances, savoir-faire et savoir-être, constituant des ressources socialement valorisées et valorisables, en particulier à l’École. Cette dernière en assure alors la reconnaissance sous forme de titres scolaires, c’est-à-dire de diplômes. Le capital culturel est donc inégalement réparti dans la société puisqu’il correspond à la culture bourgeoise. « L’inégale distribution entre les différentes classes sociales du capital linguistique scolairement rentable constitue une des médiations les mieux cachées par lesquelles s’instaure la relation entre l’origine sociale et la réussite scolaire » écrivent ainsi Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1970). Ces inégalités sont légitimées par l’École puisque leur cause réelle est masquée par une « idéologie du don » et par le discours méritocratique. Ainsi, certains élèves, quelque soient leur milieu social, seraient doués scolairement, et une école obligatoire, gratuite et commune pour tous permettraient aux meilleurs et aux plus méritants de réussir.
Les inégalités culturelles se transforment alors en inégalités scolaires dès la petite enfance. Sans toujours le chercher consciemment, les familles des classes moyennes et supérieures développent, par les manières dont elles interagissent avec l’enfant, par les échanges verbaux qu’elles ont avec lui, par le choix des jeux et des activités, des compétences (langagières ou cognitives) et des dispositions largement favorables à la réussite scolaire. On parle d’investissements familiaux. Les investissements familiaux désignent toutes les ressources mises en œuvre par la famille pour favoriser la réussite scolaire de l’enfant. Cela peut se traduire par des dépenses financières (cours particulier, stages linguistiques à l’étranger, etc.), mais aussi par un soutien affectif ou une implication dans les activités scolaires et dans l’aide aux devoirs. Les différentes sorties culturelles proposées par les parents témoignent également d’un investissement scolaire, puisque qu’elles peuvent être remobilisées en classe et nourrissent le capital culturel de leurs enfants.
Bernard Lahire montre que ces pratiques sont, de manière générale, assez étrangères aux familles des classes populaires. Convaincues, cependant, de la nécessité pour leurs enfants « d’aller le plus loin possible dans les études », ces dernières sont, en outre, loin d’être démissionnaires. Elles sont au contraire mobilisées dans la réussite de leurs enfants, « consacrent désormais au travail scolaire des enfants autant de temps que ceux des familles de cadres » d’après Poullaouec, mais peinent souvent, faute de ressources culturelles suffisantes et d’une parfaite maîtrise des méthodes pédagogiques de l’École, à apporter un soutien efficace à leur enfant.
B) Les stratégies des ménages renforcent les inégalités scolaires et créent une ségrégation scolaire.
Dans son analyse de l’inégalité des chances, Raymond Boudon (1973) montrait qu’à réussite scolaire égale, si les parcours scolaires étaient socialement différenciés, c’est qu’ils résultaient de stratégies différentes opérées par les familles suite à un calcul entre les avantages et les coûts associés à la poursuite d’études. Ces avantages et ces coûts sont variables selon le « statut social » des familles. Il critique alors la thèse de Bourdieu auquel il reproche de nier la capacité des individus à réaliser des choix autonomes. En effet, selon la vision individualiste de Boudon, tous les individus seraient des acteurs rationnels, dont les contraintes et aspirations différentes s’expliqueraient par l’appartenance à un groupe social. Pour Marie Duru-Bellat , par exemple, « les demandes d’orientation sont marquées par une auto-sélection inégale selon les milieux sociaux […]. Les conseils de classe entérinent les demandes socialement différenciées, et ils figent donc les inégalités sociales incorporées dans ces demandes ».
Ce modèle explicatif est aujourd’hui remis en question, du fait de « l’élévation massive des aspirations scolaires » dans les familles des classes populaires. En effet, pour T. Poullaouec « Les aspirations ouvrières aux études longues sont non seulement devenues majoritaires aujourd’hui mais l’idée s’est de plus en plus répandue dans les familles que les enfants doivent «aller le plus loin possible à l’école». Néanmoins, les ambitions scolaires en milieu ouvrier restent plus sensibles aux mauvais résultats, plus « vulnérables » que celles des familles de cadres ou d’enseignants, qui, d’une certaine manière, opposent une résistance plus forte aux verdicts négatifs de l’institution scolaire. De plus les stratégies scolaires des ménages ne se limitent pas aux choix d’orientation.
Les stratégies scolaires des ménages sont des choix effectués par les familles en matière d’orientation scolaire, de filière, d’établissement, dans l’espoir de maximiser les chances de réussite de leurs enfants. Ces stratégies, qui passent notamment un contournement de la carte scolaire (grâce à des choix d’options par exemple) et par la mise en concurrence du privé et du public, peuvent réduire l’hétérogénéité des classes ou des établissements, créer des formes de ségrégation scolaire, qui accentuent les désavantages des plus désavantagés, lesquels tirent au contraire profit de la mixité scolaire. En îles de France et à Paris particulièrement les collèges des établissement privé sont composés majoritairement d’enfants de milieu très favorisé. Les assouplissement de la carte scolaire possible depuis 2007 ont conduit à une multiplication des demandes de dérogations dont seulement un quart peuvent être satisfaites. Les familles les plus doté en capital économique choisissent alors parfois de scolariser leur enfants dans le privé quand ils n’ont pas le choix de l’établissement publique. D’autres familles effectuent des stratégies résidentielles en choisissant de vivre dans un secteur associés à l’établissement de leur choix ou parfois payent également pour obtenir une boîte aux lettres ou utilise l’adresse d’une autre personne vivant dans le secteur de l’établissement désiré. Bien que illégale ceci est peu contrôlé.
III] L’École et la socialisation genrée jouent également un rôle dans le maintient, voire le renforcement, des inégalités scolaire.
A) Le rôle des institutions scolaire dans le renforcement des inégalités scolaires.
La France fait partie des pays où les inégalités scolaires sont les plus forte entre les différents milieux sociaux (d’après les enquêtes PISA). Cela s’explique notamment par l’absence de mixité sociale dans les établissements. En effet, la ségrégation spatiale qui existe est renforcée par les différentes stratégies familiales qui conduisent à une ségrégation scolaire encore plus grande. L’« entre-soi » observé dans les établissements ne permet donc pas aux élèves les plus défavorisés de profiter d’une mixité sociale pour progresser scolairement. L’école joue alors un rôle dans le renforcement des inégalités : structurellement, le fonctionnement des établissements scolaire ou la taille des classes peut réduire ou, au contraire, renforcer les inégalités des chances scolaires. Enfin, les pratiques pédagogiques et les espérances des enseignants jouent également un rôle dans les performances scolaires.
On parle d’effet-établissement lorsque des élèves socialement comparables, qui travaillent avec des enseignants pédagogiquement comparables, mais qui sont scolarisés dans des établissement différents, ont des taux de réussite différents. Il s’explique par le climat plus ou moins apaisé de l’établissement, les taux d’absentéisme mais aussi par le niveau global des élèves. Le manque de mixité scolaire conduit à réduire les chances de réussite des élèves de milieu populaire et renforce donc les inégalités scolaire. En effet, dans les établissements qui concentrent les élèves les moins favorisés, les enseignants se consacrent plus au maintient de la discipline en classe que dans les établissements les plus favorisés, où les élèves bénéficient de plus de temps d’apprentissage mais aussi sont préparés à une orientation sélective.
L’effet-classe se mesure par les différences de réussite scolaire, toutes choses égales par ailleurs, en fonction de la classe de l’élève. Il s’explique par des dynamiques de groupes, c’est-à-dire par l’attitude collective des élèves en termes de participation, de sérieux dans le travail, d’attention en classe mais aussi de confiance. L’hétérogénéité des classe est, par exemple, essentielle à la réussite des élèves les plus en difficultés. La concentration des élèves les plus favorisés et/ou qui obtiennent les meilleurs résultats dans des classes « à options » favorise la ségrégation scolaire à l’intérieur des établissements et conduit à réduire les chances de réussite pour les plus en difficultés sans augmenter significativement les résultats des élèves en réussite.
L’effet-enseignant ou l’effet-maître correspond à l’impacte, à milieu social équivalent, des pratiques pédagogiques de l’enseignant et des encouragements qu’il prodigue ou non, sur les résultats scolaires de l’élève. En effet, certains modes d’enseignement explicitent, auprès des élèves, les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir alors que d’autres sont plus l’implicite. Les enfants de parents fortement diplômés tirent pleinement profit d’une pédagogie invisible, sur laquelle leurs familles portent d’ailleurs un jugement positif dans la mesure où elle est conforme à la vision qu’elles ont de l’apprentissage et présente des affinités avec les modes d’éducation qu’elles pratiquent elles-mêmes. Ce n’est pas le cas des enfants des classes populaires, qui n’ont que l’École pour apprendre les savoirs scolaires. Ces derniers, ne pouvant saisir toutes les dimensions implicites des demandes de l’École, s’en tiennent, au mieux, au « métier de l’élève », c’est-à-dire se focalisent sur la réalisation des tâches, sans en percevoir les enjeux en termes d’acquisition de savoirs.
De plus, dans les établissements où l’on retrouve une concentration d’enfants de classe populaire et où les enseignants font le constat d’une accumulation de difficultés scolaires et sociales, différentes formes de différenciation pédagogique peuvent être mises en œuvre. Mais, dans certains cas, loin de réduire les inégalités, elles les creusent encore, lors qu’elles consistent à une baisse des exigences . Par exemple, si la place de l’écrit est réduite au profit de l’expression orale, cela ne permet pas l’amélioration de la rédaction chez les plus faibles, alors même qu’il s’agit de compétences nécessaires pour l’obtention d’un baccalauréat général ou pour réussir dans le supérieur. La baisse des exigences permet alors aux plus faibles de réussir des tâches et d’être valorisés, sans pour autant opérer le cheminement intellectuel attendu.
B) La socialisation différentielle en fonction du sexe explique des trajectoires scolaire genrée et crée des inégalités.
Globalement, on observe une meilleure réussite scolaire des filles que des garçons. Cela s’explique en partie par une socialisation différentielle qui prépare mieux les filles au « métier d’élève ». La socialisation différentielle (ou différenciée) est un processus d’intériorisation des normes et des valeurs qui est différent en fonction du genre (mais aussi du milieu social). En effet, les attentes sociales ne sont pas les mêmes pour les filles et les garçons, ce qui conduit les différentes instances de socialisation à ne pas adopter les mêmes attitudes en fonction du sexe de l’individu, mais aussi à exercer une forte pression à la conformité des comportements et des aspirations. On attend alors que les filles soient plus douce, plus obéissante mais aussi plus attentive, ce qui les prépare au rôle d’élève. Les attitudes différenciées face à l’institution scolaire sont particulièrement visibles dans les catégories populaires. Pour Marie Duru-Bellat, pour les garçons « bien réussir à l’école peut être dénoncé comme «féminin». L’alternative, schématiquement, est alors soit de rejeter l’école en affichant des comportements virils (contestation de l’autorité notamment), soit de réussir dans les matières «masculines», c’est-à-dire les sciences ou le sport ». Cette socialisation différenciée conduit alors les filles à moins s’orienter vers les formations et les métiers socialement les plus valorisés et vu comme masculins.
Les enseignants peuvent contribuer à valider, voire à renforcer, ces stéréotypes sexués. Marie Duru-Bellat écrit ainsi que les enseignants ont des « attentes diversifiées en fonction du sexe de l’élève » et que les garçons sont davantage « poussés à exploiter toutes leurs possibilités » dans les disciplines identifiées comme masculine. En mathématiques, par exemple, les attentes des enseignants sont différentes dès l’école élémentaire. Les garçons bénéficient de plus d’interactions et plus de temps d’explication. Ce manque d’attention et de considération des enseignants conduit les filles à avoir moins confiance en elle, même lorsqu’elles ont un bon niveau dans les matières scientifiques.
Les inégalités deviennent très visibles avec les différentes filières après le collège. On observe une nette surreprésentations des garçons dans les filières scientifiques ou techniques. Par exemple, les filles ne représentent que 10 % des élèves en STI2D et 1 % des élèves des filières du bâtiment construction et couverture. Dans le supérieur, elles ne représentent que 28,5 % des étudiants des écoles d’ingénieurs. A l’inverse, elles sont plus de 80 % dans les filières littéraires ou en ST2S. Cette différenciation des parcours de formation peut en outre être renforcée par les choix « raisonnés et raisonnables » que feraient les filles en intégrant très tôt les contraintes futures liées aux opportunités professionnelles qui leur sont offertes et à leur vie familiale.
Enfin, les sociologues qui travaillent sur la question des inégalités scolaires liées au genre soulignent toutefois avec force que ces dernières ne peuvent être pensées indépendamment des inégalités liées à l’origine sociale. En effet, les inégalités sociales sont aujourd’hui encore plus importante que les inégalités entre les sexes.