Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la Justice sociale ?

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Spécialité Sciences Économiques et Sociales SES en classe de terminale.

Quelles mutations du travail et de l'emploi ?

Objectifs :

Connaître les grandes tendances d’évolution des inégalités économiques depuis le début du XXe siècle et comprendre que les inégalités économiques et sociales présentent un caractère multiforme et cumulatif.

Savoir interpréter les principaux outils de mesure des inégalités, statique (rapport inter-quantiles, courbe de Lorenz et coefficient de Gini, top 1%) et dynamique (corrélation de revenu parents-enfants).

Comprendre que les différentes formes d’égalité (égalité des droits, des chances ou des situations) permettent de définir ce qui est considéré comme juste selon différentes conceptions de la justice sociale (notamment l’utilitarisme, le libertarisme, l’égalitarisme libéral, l’égalitarisme strict).

Comprendre que l’action des pouvoirs publics en matière de justice sociale (fiscalité, protection sociale, services collectifs, mesures de lutte contre les discriminations) s’exerce sous contrainte de financement et fait l’objet de débats en termes d’efficacité (réduction des inégalités), de légitimité (notamment consentement à l’impôt) et de risque d’effets pervers (désincitations).

Acquis de seconde et de première : Prélèvements obligatoires, Revenu de transfert.

Notions à connaître : Inégalités (économiques / sociales), Courbe de Lorenz, Coefficient de Gini, Justice sociale, Égalité, Équité, Égalité des droits, Égalité des chances, Égalité des situations, Utilitarisme, Libéralisme, Égalitarisme libéral / égalitarisme strict, Fiscalité, Prélèvements obligatoires, Cotisations sociales, Impôt progressif, Protection sociales, Assurance, Assistance, Services collectifs,  Prestations sociales, Redistribution, Discrimination, Discrimination positive, Désincitation, Effet pervers

I] Les inégalités sont multiples et cumulatives.

A) Evolution et mesure des inégalités économiques depuis le début du XXe siècle.

Une inégalité est une différence d’accès à des ressources socialement valorisées. Les inégalités reposent explicitement ou implicitement sur des formes de hiérarchisations sociales dont les normes et valeurs collectives sont au fondement.

Il faut distinguer inégalité et différence. Une différence entre individus est un élément qui les distingue (par exemple le sexe biologique). Une différence devient une inégalité à partir du moment où elle se traduit par une différence d’accès à une ressource socialement valorisée (par exemple les différences de revenu, à qualification, métier et temps de travail égal, entre les hommes et les femmes).

1. Les inégalités économiques.

Le revenu est un flux, le patrimoine est un stock. Le flux fait référence à une circulation de produits, de revenus, de monnaie, etc. On ne peut donc mesurer un flux que pendant une période donnée, entre deux moments (ex : les flux de revenus au cours d'une année.). En revanche, le stock représente ce qui est détenu à un moment donné (ex : le stock de biens immobiliers détenu par un personne). Le revenu est ce qui peut être consommé par un agent économique au cours d'une période sans diminuer la valeur de son patrimoine. Le revenu est donc un flux. Il existe des revenus du travail (salaire) ainsi que des revenus du patrimoine, c’est-à-dire de la propriété (loyer des biens que l’on loue à d’autres agents économiques, dividendes, etc). Le patrimoine correspond à l’ensemble des actifs détenus par les ménages. Il inclut le patrimoine financier, le patrimoine professionnel (entreprises, terres, machines, stocks…), les biens durables (de plus d’un an : voiture, équipement de la maison…), les bijoux, les œuvres d’arts et autres objets de valeur.

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Pour le « top 1% », on observe une baisse de la part de leurs revenus dans le revenu national depuis le début du siècle jusqu’au milieu des années 80 (20% en 1917 à 8% en 1945 puis une stabilisation autour de 9%), puis de nouveau une augmentation. En France, les 1 % les plus riches détenaient plus de 7 % des revenus nationaux en 1985 contre près de 11 % en 2015.

Rapport interdécile D9/D1 des salaires nets mensuels en France

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On observe une augmentation des inégalités de salaires depuis 2008 alors qu’elles étaient en baisse jusque là. En effet, en 1996, d’après l’Insee, l’écart interdécile (D9/D1) était de 3,03 en 1996 : Les 10 % les plus riches en France avaient un revenu au moins trois fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres. Néanmoins, avant la crise économique de 2008, cet écart était tombé à 2,87. Aujourd’hui, les inégalités de salaires sont redevenues comme elles étaient dans le milieu des années 90 (écart interdécile de 2,98 en 2018). Pour la grande majorité de la population, les salaires constituent leur seule source de revenus.

On ne constate donc pas une explosion des inégalités salariale mais le retournement de l’évolution des inégalités est historiquement significatif : la tendance était à la baisse progressive de ces inégalités depuis plus d’un siècle, désormais elles augmentent.

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Au début du XXème siècle, les inégalités de patrimoine étaient très importantes en France. En effet, les 10 % les plus riches se partageaient plus de 80 % de patrimoine total jusqu’en 1920 et plus de 70 % jusqu’aux années 60 alors que la moitié de la population française possédait moins de 5 % du patrimoine national. Néanmoins, les inégalités de répartition du patrimoine vont grandement diminuer jusqu’en 1980 principalement au profit des 40 % des individus se situant entre le top 10 % et les 50 % des moins bien dotés en patrimoine. En effet, en 1920, ces 40 % ne possédaient que 20 % du patrimoine total, contre 40 % en 1980. Entre 1960 et 1980, la part du patrimoine des 50 % de la population les moins bien dotés double également puisqu’elle passe à 10 % du total du patrimoine en 1980 contre 5 % en 1960. En 1980, le top 10 % ne concentre encore la moitié du patrimoine national soit une baisse de 30 points de pourcentage depuis 1920.

Depuis les années 90, on assiste à une hausse des inégalités de patrimoine qui se traduit par la baisse de la part de patrimoine détenue par les 50 % de la population les plus pauvres. L’observation du top 1 % nous permet de constater que la diminution puis l’augmentation des inégalités de patrimoine s’explique principalement par l’évolution de la concentration du patrimoine dans cette tranche de la population. En effet de 1900 à 1980, on remarque une forte baisse de la part du patrimoine possédé par les 1 % des hauts patrimoines, puis de 1990 à 2015 une forte augmentation de leur part du patrimoine. Cette augmentation des inégalités se fait donc au profit du top 1 % et en défaveur des la moitié de la population la plus pauvre.

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La courbe de Lorenz permet de représenter la concentration d’une variable (revenus, patrimoine, niveau de vie, etc.) dans une population donnée. Les individus sont classés par ordre croissant : par exemple du plus bas niveau de vie au plus haut niveau de vie (le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d'unités de consommation (UC) : le niveau de vie est donc le même pour tous les individus d'un même ménage). La courbe permet de représenter la répartition de la variable avec en abscisse la part cumulée de la population et en ordonnée la part cumulée des revenus. Si la répartition est parfaitement égalitaire, alors la courbe de Lorenz sera une droite à équidistance entre l’abscisse et l’ordonnée : cela signifie que les 10 % les plus pauvres du pays gagnent 10 % du revenu total ou que les 40 % des plus pauvres gagnent 40 % du revenu total.

Le coefficient (ou indice) de Gini est un indicateur synthétique qui permet de mesurer la concentration des inégalités de revenu ou de patrimoine dans une population. Il est calculé à partir de la courbe de Lorenz, en multipliant par deux la surface de concentration, c’est-à-dire l’aire situé entre a courbe de Lorenz et la droite représentant la situation d’égalité parfaite. C’est un indicateur compris entre 0 (distribution parfaitement égalitaire) et 1 (inégalité extrême ou un ménage possède 100 % du revenu ou du patrimoine national). L’intérêt de cet indice est de synthétiser en un chiffre le niveau des inégalités, mais il ne prend pas en compte la répartition des des revenus ou du patrimoine dans la population.

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Les inégalités de niveau de vie ont diminué de 1970 à 1998, le coefficient de Gini est passé de 0,34 à 0,28. Puis il y a eu une légère augmentation de 1998 à 2008 (0,28 à 0,29), puis de 2008 à 2011 avec un coefficient de Gini s’établissant à 0,31 soit le même niveau d’inégalité qu’en 1979. Enfin, de 2011 à 2013 le coefficient de Gini est descendu à 0,29 pour rester à ce niveau jusqu’en 2017.

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Insee Première n° 1813, septembre 2020.

Sur le long terme, il y a incontestablement un mouvement de réduction des inégalités économiques, notamment du fait baisse du patrimoine. La déconcentration du patrimoine de 1945 à1970 est liée à 4 facteurs principaux (travaux de Thomas Piketty) : la destruction physique du capital lors des deux guerres mondiales; l’instauration d’une fiscalité plus progressive; l’instauration d’une taxation des successions; une forte croissance économique favorable à la réduction des inégalités et à l’accession à la propriété des classes moyennes. Par ailleurs, il y a eu une forte augmentation du niveau de vie moyen sur la période (ce qui ne veut pas forcément dire baisse des inégalités).

Néanmoins, de 1984 au milieu des années 2000, on observe un essoufflement très net du processus de réduction des inégalités économiques : le rapport interdéciles D1/D9 continue de diminuer mais à un rythme plus faible. Depuis 2008, on constate une hausse des inégalités de niveau de vie lié à l’augmentation de la richesse des 10% les plus riches, deux causes :

  1. Forte hausse des revenus du patrimoine qui représentent une forte part du revenu des 10% les plus riches

  2. Explosion des très hauts revenus salariaux (stock-options, intéressement…)

De nos jours, les inégalités de patrimoine sont plus importantes que les inégalités de salaire.

2. Les inégalités sociales.

Les inégalités sociales proviennent d’une distribution inégale au sein de la société, des ressources matérielles, sociales, politiques et culturelles. Il y a une différence d’espérance de vie selon le genre, le niveau de vie et le diplôme. Les femmes, quelle que soit leur niveau de diplôme, ont une espérance de vie supérieure aux hommes : à 35 ans, elles peuvent espérer vivre 7 ans de plus en moyenne que les hommes pour les niveaux de vie les plus faibles et 4 ans de plus pour les niveaux de vie les plus élevés.

Plus le niveau de vie est élevé, plus le niveau de diplôme est élevé et plus la catégorie socio-professionnelle est élevée et plus l’espérance de vie est élevée. Une partie des déterminants des inégalités est due aux facteurs de risque liés aux comportements individuels (tabac, obésité), une partie est due aux conditions matérielles de vie (qualité de l’alimentation, du logement, nuisances, pollution, accès au soin, comportement face à la maladie, prévention), mais aussi aux conditions et à l’environnement de travail.

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 Il y a une différence d’espérance de vie selon le genre, le niveau de vie et le diplôme. Les femmes, quelle que soit leur niveau de diplôme, ont une espérance de vie supérieure aux hommes : à 35 ans, elles peuvent espérer vivre 7 ans de plus en moyenne que les hommes pour les niveaux de vie les plus faibles et 4 ans de plus pour les niveaux de vie les plus élevés.

Plus le niveau de vie est élevé, plus le niveau de diplôme est élevé et plus la catégorie socio-professionnelle est élevée et plus l’espérance de vie est élevée. Une partie des déterminants des inégalités est due aux facteurs de risque liés aux comportements individuels (tabac, obésité), une partie est due aux conditions matérielles de vie (qualité de l’alimentation, du logement, nuisances, pollution, accès au soin, comportement face à la maladie, prévention), mais aussi aux conditions et à l’environnement de travail.

B) Des inégalités qui s’auto-entretiennent et se cumulent.

On distingue des inégalités :

- dans l’ordre de l’avoir (inégalité de revenu et de patrimoine, en fonction des PCS par exemple) ;

- dans l’ordre du pouvoir, puisque tout les individus n’ont pas accès aux postes de pouvoir (politique ou économique). Les femmes et les ouvriers, par exemple, sont sous-représentées à l’assemblée nationale ;

- mais également dans l’ordre du savoir. On observe des inégalités d’accès aux diplômes en fonction de l’origine sociale.

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Il y a un cumul des inégalités qui se transforme en cumul des avantages pour les uns et cumul des désavantages pour les autres. Les auteurs A. Bihr et R. Pfefferkorn parlent en ce sens de « système des inégalités » : ces dernières font systèmes dans le sens où une inégalité (ex : de revenu) a des effets sur d'autres sphères (accès aux écoles, taille du logement, possession d'une mutuelle pour les frais médicaux etc.).

Les inégalités économiques se renforcent mutuellement puisque les revenus permettent l’accumulation d’un patrimoine qui est lui-même source de revenus. De plus, les inégalités économiques peuvent générer les inégalités sociales : par exemple, on observe une corrélation entre niveau de vie et espérance de vie. Les individus qui ont des revenus faibles (ex : chômeurs, emplois précaires, ouvriers et employés les moins qualifiés) ont un accès aux soins qui est plus difficiles. Leur revenu a également un effet sur leur consommation alimentaire. Les personnes les plus pauvres ont une alimentation plus riche en calories et moins équilibrée. On observe alors une corrélation entre niveau de vie et obésité. L’alimentation va donc impacter directement l’espérance de vie mais également la qualité de vie. De plus, les conditions de travail des moins qualifiés sont souvent plus pénibles et plus dangereuses (pour les précaires/certains ouvriers) : cette usure physique et psychique de l’organisme, impacte la santé des individus. Pour finir, les différences de revenus expliquent donc les inégalités d’accès aux soins et d’espérance de vie.

Enfin, les inégalités sociales entraînent également des inégalités économiques : Par exemple, la rémunération des femmes est inférieure à celle des hommes. Les femmes prennent largement en charge le travail domestique, l’éducation des enfants, ce qui peut expliquer un taux d’emploi plus faible pour les mères de jeunes enfants, mais aussi le choix d’emploi à temps partiel (qui concerne plus d’un quart des femmes en emploi) ainsi que des carrières plus discontinues. Cela contribue à expliquer les écarts de rémunération entre hommes et femmes. Ici, le genre est le facteur qui explique le mieux l’origine des inégalités de rémunération.

II] La justice sociale repose sur plusieurs conceptions de l’égalité, du juste et de l’injuste.

 La justice sociale est un principe politique et moral qui a pour objectif une égalité des droits et une organisation collective qui permettent une distribution juste et équitable des richesses, qu'elles soient matérielles ou symboliques, entre les différents membres de la société. Néanmoins, pour savoir ce qui est juste ou injuste, il faut se référer à une norme de justice (quelles sont les inégalités injustes et à corriger, quelles sont les situations inéquitables mais acceptable socialement etc.).

Une partie des théories de la justice sociale impliquent de la part de L’État la volonté de compenser certaines inégalités qui apparaissent dans le fonctionnement de la société et de faire en sorte que toutes les composantes de celle-ci puissent se développer tant sur le plan économique que culturel.

A) Les trois dimensions de l’égalité.

L’égalité correspond à des situations identiques ou équivalentes, entre individus, face aux droits qu’ils peuvent revendiquer, aux conditions d’existence et aux ressources rares auxquelles ils peuvent prétendre (emploi, prestige social, etc.). L’égalité peut revêtir des contenus différents et la poursuite de l’égalité dans une de ses dimensions peut coexister avec le maintien d’inégalités importantes dans une ou plusieurs autres dimensions. On peut, dans cette perspective, distinguer les différentes dimensions de l’égalité : égalité des droits, égalité des situations ou égalité des chances.

  • L’égalité de droit est le principe selon lequel tous les individus doivent être traités également par la loi. Les individus bénéficient alors des mêmes droits et doivent répondre aux mêmes devoirs. L’égalité des droits est largement reconnue dans les sociétés démocratiques.
  • L’égalité des chances représente la situation où tous les individus, quels que soient leur sexe, leur origine sociale, ethnique ont la même possibilité d'accès à l'ensemble des positions sociales. La position sociale de l’individu de dépend donc pas de son origine sociale ou d’autres caractéristiques. Toutefois, l’égalité des chances ne conduit pas à l’égalité des situations. Les inégalités sociales se justifient ici par le mérite des individus.
  • Enfin, l’égalité de situation implique que tous les citoyens disposent des mêmes quantités de richesse, de pouvoir et de prestige. Cette notion renvoie au principe d’égalité des places qui vise à réduire les écarts entre les positions sociales des individus.

Exemples de situation relevant de différents types d'égalités :

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B) Les différentes conceptions de la justice sociale articulent différemment les trois formes d’égalité.

Nous pouvons mettre en valeur quatre conceptions de la justice sociale dépendant chacune de la priorité que l’on accorde aux différentes dimensions de l’égalité :

Pour l’utilitarisme une société juste est une société heureuse. Le but est alors que le bien-être collectif soit le plus grand possible. Pour cela, les utilitaristes, comme Bentham, présupposent qu’il est possible de faire correspondre pour chaque situation et pour chaque individu un niveau d’utilité, c’est-à-dire de bonheur. Il est donc juste de choisir ensuite la situation pour laquelle l’utilité collective est la plus importante. Dans ce cadre, la réduction des inégalités et de la pauvreté n’est un objectif que lorsqu’elle permet d’augmenter la satisfaction globale.

Pour les penseurs libertariens qui font confiance aux vertus autorégulatrices du marché pour distribuer équitablement les richesses selon les volontés et capacités de chacun, comme Friedrich A. Hayek, un État juste doit se limiter à l’exercice de ses fonctions régaliennes (sécurité intérieure, système judiciaire, défense), ainsi que des services collectifs financés publiquement (mais pas nécessairement produit par l’État) qui permettent de faire fonctionner les institutions marchandes (droit de propriété, justice), assurant seulement l’égalité des droits des individus. Permettre un fonctionnement efficace et stable du marché permet à chacun de pouvoir bénéficier des fruits de son travail et de participer au bien-être commun. Le libertarisme considère la liberté individuelle comme un droit naturel inaliénable qui s’appuie sur la propriété. Il s’oppose radicalement à l’égalitarisme.

L’égalitarisme regroupe toutes les conceptions de la justice sociale qui prônent une certaine conception de l’égalité entre les membres de la société. Il faut distinguez l’égalitarisme libéral (Rawls) de l’égalitarisme strict (inspirée du marxisme).

L’égalitarisme libéral s’incarne dans la philosophie de John Rawls, qui estime que l’égalité des droit doit se compléter par une égalité des chances. Dans cette perspective, l’idéal d’égalité des chances a toujours un lien avec l’idéal méritocratique : les positions dominantes doivent être réservées à ceux qui les méritent, sans que la compétition se trouve faussées par des inégalités de départ. Grâce à l’égalité des droits et à l’égalité des chances, permettant à tout le monde de pouvoir réussir, les individus occupent des places respectives selon leur talent et leur mérite. Pour respecter le principe d'équité, on peut créer une inégalité afin d'atteindre une forme d'égalité, on crée donc une inégalité correctrice qui doit permettre de corriger/compenser l'inégalité première pour tendre vers plus d’égalité (politiques impliquant des mesures de discrimination positive). Le principe de différence, qui implique que les membres les moins avantagés de la société peuvent être traités différemment à partir du moment où cela reste à leur bénéfice et au bénéfice de la collectivité toute entière, permet de justifier des politiques redistributives afin de permettre de s’approcher de l’égalité des chances. C'est l'égalité des chances qui permet au système méritocratique d'être juste : si tout le monde a les mêmes chances de réussir, alors les inégalités ne sont dues qu'à des différences de mérite. Mais la méritocratie n'implique pas forcément l'égalité des chances : un système qui se voudrait basé sur la méritocratie mais où il n'y a pas de réelle égalité des chances est donc injuste.

Pour l’égalitarisme strict, qui s’inspirent de la pensée de Karl Marx - tout en dévoyant l’aspect révolutionnaire -, une société juste doit limiter le plus possible les écarts économiques, sociaux et politiques entre les individus sans quoi l’égalité (des droits et des chances) serait au services des classes dominantes. Ils prônent donc l’égalité des situations. La conception de l'égalité de droit seule est critiquée par différents courants dont l'analyse marxiste. En effet, selon K. Marx, l'égalité de droit ne suffit pas à rendre "juste" une société démocratique puisqu'elle permet quand même des inégalités de fait. Ainsi, il distingue égalité formelle (l'égalité de droit, l'égalité de principe) de l'égalité réelle, celle qui est observée dans la société. Le partage des richesses se fait selon le principe : « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ».

III] L’État mobilise divers instruments pour contribuer à la justice sociale.

A) L’État peut utiliser la fiscalité pour réduire les inégalités de situation.

Pour réduire les inégalités de situation, l’État dispose de divers moyens d’action. La fiscalité est le premier outil qui permet à l’État de réduire les inégalités de situation, notamment par le biais de la progressivité des impôts qui conduit à prélever davantage les plus fortunés. La fiscalité correspond à l’ensemble des impôts et des taxes (prélevés par l’État comme l’impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, la taxe sur la valeur ajoutée etc.) perçus par les pouvoirs publics. Les prélèvements obligatoires, plus larges, comprennent les impôts, les taxes et les cotisations sociales prélevées par les administrations de sécurité sociale (cotisations pour la retraite, santé, maladie par exemple) et permettent de financer la protection sociale. Les cotisations sociales sont prélevées directement sur les salaires et sont payés par les salariés et par les employeurs.

L’impôt forfaitaire consiste à prélever un même montant à chaque contribuable. Cette forme de fiscalité peut être considérée comme la plus injuste puisqu’elle ne tient pas compte des niveaux de vie. Elle ne change pas les écarts absolus de revenus, mais accroît les inégalités relatives. Par exemple on prélève 200€ à chaque contribuable qu’ils perçoivent 1200€ de revenu ou 3600€.

L’impôt proportionnel consiste à prélever un taux unique aux revenus ou à la consommation[1] quel que soit leur niveau. Cet impôt réduit les inégalités absolues (en euros). Par exemple une taxe de 10 % de 1 000 euros, représente 100 euros. Sur 2 000 euros, c’est 200 euros. L’écart de revenus passe de 1 000 euros à 900 euros après impôts. Ce type d’impôt ne change rien aux inégalités relatives (entre les différents niveaux de richesse). Par exemple, l’écart restera de 1 à 2 avant impôt (2 000 euros contre 1 000 euros) comme après impôt (1 800 euros contre 900). L’impôt progressif consiste à prélever des taux de prélèvement qui augmentent avec la valeur de l’assiette taxée (la base fiscale). C’est le cas notamment de l’impôt sur le revenu. Plus le revenu augmente, plus le taux de prélèvement s’accroît.  L’impôt progressif réduit les inégalités absolues et relatives car on prélève plus que proportionnellement les plus riches. En effet, il serait juste que les impôts prélèvent proportionnellement moins les pauvres car les plus pauvres peuvent plus difficilement se passer de la somme prélevée.

B) L’État peut réduire les inégalités de situation grâce à la protection sociale.   

La protection sociale correspond à l’ensemble des mécanismes qui permettent aux individus de faire face à des situations, appelées risques sociaux, comme la maladie, les accidents du travail, la maternité, la vieillesse ou le chômage, susceptibles de provoquer une baisse de leurs ressources ou une hausse de leurs dépenses. Pour permettre cela, des organismes de protection sociale, tel que la sécurité sociale, versent des prestations sociales. Les prestations sociales qui sont les versement, aux individus ou aux ménages, de revenus de transferts (prestations sociales en espèces ou des prestations de services sociaux qui permettent l’accès aux services collectifs à prix réduits, voire gratuitement, comme dans les hôpitaux publics).

            Les prestations sociale reposent sur trois logiques :

  • La logique d’assurance, comme les allocations chômage, est fondée sur le principe de l’assurance sociale, selon lequel un individu est couvert contre certains risques sociaux (grâce à un mécanisme de prestations) dès lors qu’il participe au financement de la couverture (par un mécanisme de cotisations sociales). Les salariés cotisent en étant prélevés sur leur salaire tous les mois et en cas de chômage ou de maladie, ils peuvent bénéficier de revenus de remplacement, par exemple.
  • La logique d’assistance, par exemple le Revenu de solidarité active (RSA), est fondé sur le principe de solidarité entre les individus et conduit à une redistribution des plus riches vers les plus pauvres et permet de lutter contre la pauvreté. Il n’est pas nécessaire de cotiser pour bénéficier de ces prestations mais elles ne sont versées que sous condition de ressources.
  • Enfin, la logique de protection universelle permet le versement de prestations sociales sans conditions de cotisations préalables ou de ressources. Elles sont les mêmes pour tous. C’était le cas des allocations familiales jusqu’à récemment[2] et c’est le cas pour la protection universelle maladie[3].
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La redistribution est l'ensemble des opérations qui conduisent à modifier la répartition primaire des revenus, c’est-à-dire celle qui provient de la participation à la production (revenu du travail et du patrimoine). Ces opérations de redistribution recouvrent :

  • Les prélèvements obligatoires effectués par l’État, les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale sur les revenus primaires (impôts, cotisations sociales) ;
  • Les prestations sociales qui sont les versement, aux individus ou aux ménages, de revenus de transferts (prestations sociales en espèces ou en nature).

Un des objectifs de la redistribution est de réduire les inégalités mais aussi de aussi de protéger contre les risques sociaux et d’assurer une solidarité entre les malades et les bien portants ou entre les parents et les non-parents ce qui ne conduit pas forcément à réduire les inégalités. La redistribution répond donc à la fois à une logique d’égalité des chances et des situations.

C) La contribution des services collectifs à la réduction des inégalités.

Les services collectifs correspondent aux productions non marchandes – c’est-à-dire fournies à un coût inférieur à la moitié de leur coût de production, et très souvent gratuitement ou quasi-gratuitement – des administrations publiques, financées par les prélèvements obligatoires. Par exemple, le service public d’éducation, de santé, de logement ou les équipements publics gratuits (squares, aires de jeux, bibliothèques…).  En permettant l’accès à tous, et notamment des plus démunis, à des services jugés essentiels, ils contribuent à réduire les inégalités. L’État fournit ainsi des services collectifs, considérés comme indispensables à la cohésion sociale, dont les pouvoirs publics assurent la mise en œuvre.

Les services publics offrent des prestations en nature qui sont gratuites ou quasi gratuites. La dépense publique dans ce domaine est clairement redistributive : sans elle, les plus riches pourraient tout de même s’offrir ces services mais les plus pauvres ne le pourraient pas. De plus, les ménages qui ont des revenus primaires (= revenus avant redistribution) faibles contribuent peu au financement de ces services financés par l’impôt, mais ils en bénéficient dans des proportions similaires que les ménages qui contribuent davantage au financement de ces services. En permettant l'accès à tous, même aux plus démunis, à des services jugés essentiels (santé, éducation …), ils contribuent donc à réduire les inégalités (égalité des situations). D’après l’INSEE, les prestations sociales (monétaires ou en nature et services collectifs) contribuent pour les deux tiers à la réduction des inégalités et les prélèvements pour un tiers.

En plus de leur rôle redistributif, les services collectifs servent l’intérêt général en permettant d’améliorer l’égalité des chances, les hôpitaux publics servent l’égalité d’accès aux soins, etc.

Néanmoins, certains services collectifs profitent plus à la catégories privilégiée de la population donc tendent à augmenter les inégalités. Ainsi, l'enseignement supérieur, notamment les classes préparatoires et les grandes écoles, bénéficient surtout aux enfants des catégories les plus favorisées, puisque les enfants de catégories populaires poursuivent moins souvent des études dans le supérieur (cf. chapitre mobilité sociale).

D) L’État intervient pour rétablir l’égalité des chances et lutter contre les discriminations.

Une discrimination correspond à une différence de traitement entre individus ou des groupes à partir de critères interdits par la loi (sexe, origine ethnique, handicap notamment). Les discriminations peuvent produire des inégalités, comme la discrimination raciale ou sexiste, mais toutes les inégalités ne sont pas forcément dues à des discriminations. Par exemple, des personnes avec des qualifications différentes auront des inégalités de salaires.  L’État peut agir contre les discriminations de deux manières :

  • L’État peut édicter des lois condamnant les discriminations : nombreuses lois sur l’égalité H/F par exemple. Par exemple de la loi sur la parité de 2000, la loi visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle de 2021 (instauration de quotas de 40% aux postes dirigeants des grandes entreprises, nouvel index de l'égalité dans l'enseignement supérieur).
  • La création d’une autorité indépendante qui sanctionne les discriminations et recommande le gouvernement : La HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité = Défenseur des droits).

Contrevenant à l’égalité des droits et des chances, les discriminations sont devenues un enjeux central des politiques sociales par la mise en place de mesures de discrimination positive. Les mesures de discrimination positive consistent au contraire à accorder des droits particuliers, un traitement préférentiel, à ceux dont la situation le justifie. On souhaite ainsi rétablir une égalité des chances compromise par deux phénomènes :

  • Des pratiques racistes ou sexistes d’une part.
  • Une accentuation des inégalités socio-économiques d’autre part.

La discrimination positive peut prendre la forme de quota, par exemple une proportion d'élèves issue de lycées zone d'éducation prioritaire (ZEP) dans une grande école ou l'obligation pour les employeurs d'embaucher des personnes en situation de handicap.

Néanmoins, la discrimination positive est l'objet de trois principales :

  • Elle peut conduire à privilégier des individus qui n'auraient pas eu besoin de ce mécanisme lorsque les critères sont mal définis : par exemple recruter des enfants de cadre dans une grande école par le biais d'une convention ZEP, l'ensemble des élèves en ZEP n'étant pas de classe populaire.
  • Elle peut laisser un stigmate pour les personnes qui ont bénéficié de la discrimination positive ou sont assimilés comme tel : ils ne seraient pas dans leur position (en emploi, dans tel école, à tel poste) grâce à leur mérite mais du fait des quotas.
  • La discrimination positive ne change fondamentalement pas les inégalités par ailleurs : si certains élèves de classe populaire peuvent accéder à des grandes écoles grâce à la discrimination positive, la grande majorité des élèves n'y auront pas accès car le fonctionnement de l'école ne permet pas de combler les écarts avec les enfants de cadre.

IV] L’intervention des pouvoirs publics est limitée par la contrainte financière, une remise en cause de l’efficacité de l’intervention publique et des risques d’effets pervers.

A) L’endettement public et le déficit public chronique limitent les interventions de l’État.

Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la Justice sociale ?

Les politiques publiques de lutte contre les inégalités sont soumises à des contraintes financières importantes. En effet, la faible croissance économique après les trente glorieuses limite les ressources fiscales ce qui conduit à limiter les dépenses publiques. Depuis quarante-cinq ans, les comptes publics sont en déficit (les dépenses sont supérieures aux recettes), notamment en raison du vieillissement de la population et du chômage de masse. En effet, le vieillissement de la population conduit à alourdir les dépenses de protection sociale (notamment risque vieillesse et maladie). Les dépense de protection sociale représentent une part de plus en plus importante de PIB (plus de 30 % du PIB en 2017 contre 15 % en 1960). Les dépenses du risque vieillesse représentaient 5 % du PIB en 1960 contre 15 % du PIB en 2017, ils ont donc triplées en 50 ans. On observe un nombre de moins en moins important d’actifs relativement aux nombre de retraités, ce qui crée un déséquilibre entre les recettes (cotisations sociales) et les dépenses du risque vieillesse. De plus, le chômage de masse vient à la fois limiter les recettes (moins de cotisation sociale) et augmenter les dépenses (plus d’allocataires à l’allocation de retour à l’emploi dite « allocation chômage »).

Ainsi, l’État est davantage contraint dans le financement des politiques publiques. L’État a de très faibles marge de manœuvre pour financer ces dépenses par une augmentation de l’impôt car c’est impopulaire (critique du poids des impôts jugé trop important) et la fiscalité agit négativement sur la demande et l’épargne des agents économiques. L’État peut également choisir de financer ces actions par l’emprunt mais cela risque d’alourdir davantage la dette publique – soit l’ensemble des engagements financiers pris sous forme d'emprunts par l'Etat, les collectivités publiques et les organismes qui en dépendent directement – qui dépasse déjà les objectifs du Pacte de stabilité et de croissance (le PSC demande au pays membre de l’UE de maintenir une dette inférieure à 60 % du PIB). En 2018, la France, au sens de Maastricht, c’est-à-dire en prenant en compte l’ensemble des dettes des administrations publiques, avait un taux d’endettement public à hauteur de 98,4 % du PIB. En 2021, suite à la crise du coronavirus qui a vu les dépenses augmenter et les recettes diminuées par l’attrition de l’activité économique, l’endettement public est de 115,6 % du PIB.

B) La remise en cause de l'efficacité de la fiscalité dans la réduction des inégalités.

Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la Justice sociale ?

A. Bozio, B. Garbinti, J. Goupille-Lebret, M. Guillot et T. Piketty, « Trois décennies d’inégalités et de redistribution en France (1990-2018) », World Inequality Lab, septembre 2018

Les prélèvements obligatoires représentent 45 % du revenu des plus pauvres, ils représentent la même part % de celui des 0,001 % les plus riches. Un prélèvement progressif est un prélèvement dont le taux croît lorsque son assiette augmente. Le taux de prélèvement est alors plus fort pour les hauts revenus que pour les bas revenus. Son montant augmente plus que proportionnellement par rapport au revenu. Seuls l’impôt sur le revenu et les taxes sur le capital apparaissent progressifs sur l’ensemble de la distribution des revenus. Un impôt dégressif est un prélèvement dont le taux diminue quand le revenu augmente. Son montant augmente moins que proportionnellement par rapport au revenu. Les cotisations sociales et les taxes indirectes apparaissent comme dégressives.

L'impôt sur le revenu en France ne serait progressif que pour les neuf premiers déciles mais deviendrait dégressif pour le dernier décile. L'imposition en France semble insuffisante pour réduire les inégalités. La fiscalité française serait un outil faiblement efficace voire inefficace concernant le dernier décile qui participe proportionnellement plus faiblement que les autres ménages à la constitution du budget de l’État proportionnellement à leurs revenus.

Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la Justice sociale ?

On peut aussi interroger l’efficacité de l’État pour lutter contre les inégalités. En effet, il est plus difficile pour certaines personnes d’accéder aux services collectifs. Par exemple, les ménages vivant dans des régions rurales peuvent être éloignés géographiquement des services scolaires ou de santé, ce qui crée des inégalités territoriales d’accès aux services publics. La numérisation des services collectifs rend également plus difficile son accès, notamment pour les personnes âgées, ayant faiblement accès à internet ou les moins diplômés. On constate, aussi, une persistance des inégalités scolaires qui sont liées à l’origine sociale et les dépenses d'éducation sont plus importantes pour les plus riches (études plus longues, plus sélectives) que pour les plus pauvres. Enfin, on observe, en France, une difficulté pour l’État de faire baisser le taux de pauvreté. Ainsi, le taux de pauvreté (au seuil situé à 60 % du niveau de vie médian) est passé de 13,8 % de la population en 2013 à 14,8 % en 2018.

Enfin, la couverture des risque par la protection sociale n’a pas toujours un effet de réduction des inégalités, puisque les pensions de retraite ou les allocations chômage sont fonction du niveau des revenus d’activité, et donc plus importantes pour les plus aisés. Les pensions de retraite sont par ailleurs versées lors de la vieillesse et l’espérance de vie est inégale selon le niveau de revenu, de diplôme, et la position sociale.

C) Un déficit de légitimité qui conduit au développement d’un sentiment d’injustice sociale.

Le consentement à l'impôt c'est le fait d'accepter de payer ses impôts et plus généralement les prélèvements obligatoires car on considère que c'est légitime voire nécessaire pour que la société fonctionne. L’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 précise : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». La crise de la légitimité de l’État vient, en partie, d’un manque de transparence et de compréhension de la constitution du budget de l’État (grâce aux impôts et taxes) mais également des dépenses. La légitimité de l’impôt doit alors reposer sur la conviction partagée que chaque contribuable participe à hauteur de ses moyens à la constitution du budget de l’État et donc au financement des prestations sociales et des services collectifs. Pour Alexis Spire, le mouvement de « ras-le-bol fiscale » n’est pas un mouvement d’opposition au principe de l’impôt mais un mouvement contre l’injustice fiscale. En effet, beaucoup de contribuables ont l’impression que les personnes les plus riches échappent à l’impôt, alors que les travailleurs des classes populaires et moyennes ne le peuvent pas et financent donc la plus grande partie du budget de l’État ce qui créé un sentiment d'injustice fiscale. 

Paradoxalement, ce sont donc les ménages les plus modestes et chez les petits indépendants, bénéficiaires des politiques sociale, qui se montrent les plus critiques à l’égard des prélèvements, alors que les catégories les plus aisées adhérent davantage au système fiscal. Ainsi, 50 % des ménages ne payent pas d’impôt sur le revenu et les ménages les plus aisées (mais aussi les entreprises) peuvent bénéficier de niches fiscales, c’est-à-dire d’avantages fiscaux. Par exemple, les ménages peuvent déduire de leur impôt sur le revenu une partie de leurs dépenses de service à la personne (crédit d’impôt de 50% des dépenses effectivement supportées, retenues dans une limite annuelle de 12 000 euros). Les contribuables qui payent l’impôt sur le revenu mais ne pouvant pas bénéficier de niches fiscales peuvent développer un sentiment d’injustice fiscale, sans prendre la mesure des avantages qu’ils tirent de la redistribution ou de la mise en place des services collectifs. Ces derniers réalisent l’existence de ces actions publiques seulement quand elles sont amenées à disparaître.

Néanmoins, il faut nuancer la conclusion d’une crise de légitimité, puisque d’après l’enquête d’Alexis Spire, en avril 2017, 60 % des français trouvaient légitime de payer des impôts compte tenu de la qualités des services publics.

D) Un risque d’effets pervers liés aux prélèvements obligatoires et à la mise en place de minimas sociaux qui peut désinciter l’offre de travail.

1. L’effet désincitatif de l’augmentation des prélèvements obligatoires.

Pour les libéraux notamment, l’intervention de l’État pour promouvoir la justice sociale peut provoquer des effets pervers, c’est-à-dire des résultats contraires à ceux attendus. C’est le cas de l’augmentation des prélèvements obligatoires, qui peut avoir des effets désincitatifs pour les individus mais également pour les entreprises. Un effet désincitatif est un effet qui va pousser à ne pas faire une chose (ici, ne pas travailler ou ne pas créer de richesse). La courbe de Laffer montre qu’à partir d’un certain seuil, la fiscalité est inefficace car les recettes fiscales diminuent : les individus réduisent leur activité productive puisque le taux d’imposition est désincitatif et mettent en place des stratégies pour payer moins d’impôts.  Trop d’impôt tue l’impôt » est une formule pour justifier l’inefficacité de l’impôt lorsque ce dernier atteint un seuil trop élevé.

Dans les faits, la courbe de Laffer n’a jamais été vérifiée. L’analyse proposée par Laffer n’est pas un travail scientifique se fondant sur une analyse de la réalité (l’histoire veut que la courbe fût tracée sur un bout de nappe dans un restaurant). Cette courbe ne repose au départ sur aucune donnée empirique, elle ne fait que traduire en image les effets désincitatifs des impôts sur l’offre de travail[4].

Courbe de Laffer

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2. Les effets pervers des minimas sociaux.

Enfin, pour les libéraux, l’intervention de l’État à travers les minimas sociaux voire l’assurance chômage peut provoquer des « trappes à inactivité », en encourageant les individus à rester inactifs, en raison de la perte des avantages sociaux auxquels ils devraient renoncer s’ils entraient dans l’emploi. Par exemple, le revenu de solidarité active (RSA) a pu être dénoncé comme un mécanisme conduisant à une trappe à pauvreté : des personnes pauvres – souvent inactives – n’ont pas d’intérêt à rechercher du travail dans la mesure où elles profitent d’aides diverses. En effet, avant la réforme de 2016 qui est venu lisser les effets de seuils, lorsque le revenu de l’activité dépassait un certain seuil, la perte du RSA et des prestations (les aides de certaines communes pour la restauration scolaire et les transports, une partie des aides au logement, la gratuité des places de crèche ou de cantine dans d’autres communes, etc.) liées au statut de bénéficiaire du RSA pouvait aboutir au choix de ne pas reprendre un emploi. Néanmoins, depuis 2016, le calcul du montant du RSA et l’évolution de son montant suite à la reprise de l’activité permet de gommer ces effets de seuils.

De plus, le retour à l'emploi ne dépend pas que de ces aspects financiers. L’emploi procure un statut social, un sentiment d’utilité. Il structure le temps, permet de se projeter dans l’avenir, de nouer des relations sociales et de se sentir intégré. Autant d’éléments qui peuvent pousser à retrouver un emploi, même si financièrement cela semble peu rationnel.


[1]     La TVA est proportionnelle à la consommation. Mais l’on sait que les ménages à faibles revenus consacrent à la consommation une part plus importante de leur revenu. Au final, la TVA est donc dégressive par rapport au revenu, ce qui signifie que les ménages à faibles revenus consacrent une part plus importante de leur revenu à cet impôt que les ménages à hauts revenu.

[2]     Depuis juillet 2015, les allocations familiales des ménages dont les revenus dépassent 6000 euros mensuels pour deux enfants seront divisées par 2, et par 4 pour ceux gagnant plus de 8000 euros par mois.

[3]     Conditions : travailler ou résider en France de manière stable depuis plus de 6 mois sur les 12 derniers mois.

[4]     Thomas Piketty a mené une étude sur les effets de la modification des taux marginaux d’imposition sur les tranches supérieures de revenus en France entre 1970 et 1996. Sur la période considérée, il y a eu de nombreuses modifications de ces taux marginaux supérieurs et l’étude conclut que ces modifications ont eu des effets très limités sur les revenus en question. L’élasticité de l’offre de travail des titulaires des hauts revenus à la fiscalité est presque nulle.

Publié dans Terminale ES

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