Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale ?

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Spécialité Sciences Économiques et Sociales SES en classe de terminale.

Quels sont les caractéristiques contemporaines et les facteurs de la mobilité sociale?

Objectifs :

Savoir distinguer la mobilité sociale intergénérationnelle des autres formes de mobilité (géographique, professionnelle).

Comprendre les principes de construction, les intérêts et les limites des tables de mobilité comme instrument de mesure de la mobilité sociale.

Comprendre que la mobilité observée comporte une composante structurelle (mobilité structurelle) ; comprendre que la mobilité peut aussi se mesurer de manière relative indépendamment des différences de structure entre origine et position sociales (fluidité sociale) et qu’une société plus mobile n’est pas nécessairement une société plus fluide.

À partir de la lecture des tables de mobilité, être capable de mettre en évidence des situations de mobilité ascendante, de reproduction sociale et de déclassement, et de retrouver les spécificités de la mobilité sociale des hommes et de celles des femmes.

Comprendre comment l’évolution de la structure socioprofessionnelle, les niveaux de formation, et les ressources et configurations familiales contribuent à expliquer la mobilité sociale.

Acquis de seconde et de première :Trajectoire biographique, Milieu social, Capital culturel, Configuration familiale, Héritiers, Socialisation anticipatrice, Réussite et échec paradoxaux

Notions à connaître : mobilité sociale intergénérationnelle, mobilité géographique, mobilité professionnelle, table de mobilités, mobilité observée, mobilité structurelle, fluidité sociale, mobilité ascendante, reproduction sociale, déclassement, structure socioprofessionnelle, ressources familiales, configurations familiales

I] Qu'est-ce que la mobilité sociale et comment la mesurer ?

A) Les différentes formes de mobilité

1. Il faut distinguer la mobilité géographique et professionnelle de la mobilité sociale.

Les individus peuvent connaître plusieurs formes de mobilité : sociale (intergénérationnelle), professionnelle (intragénérationnelle) ou géographique. La mobilité géographique désigne le fait de changer de lieu d’habitation. Elle peut être une mobilité résidentielle, c’est-à-dire un changement de résidence principale au sein d’un même pays, en général entre deux recensements. La mobilité géographique internationale est appelée migration et désigne un changement de pays de résidence.

La mobilité sociale, au sens large, désigne tout changement de position sociale pour un individu. La position sociale est la profession actuelle de l’individu alors que son origine sociale correspond à la position sociale de ses (ou son) parents. En France, la position sociale d’un individu est appréhendée par sa catégorie socioprofessionnelle à partir de la nomenclature des catégories socioprofessionnelles (CSP) ou de celle des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) selon la date de l’enquête. Néanmoins, pour l’INSEE, elle correspond seulement à la mobilité intergénérationnelle, c’est-à-dire l’appartenance à un groupe social différent de celui de ces parents. La mobilité sociale est principalement mesurée par rapport à la position sociale du père. En effet, le faible taux d’activité des femmes jusque dans les années 60 a amené à ne mesurer que la mobilité sociale des hommes. La position sociale des femmes était alors appréhendée par la catégorie socioprofessionnelle de leur conjoint et leur mobilité par rapport à celle de leur père. Néanmoins, aujourd’hui, le développement de l’activité féminine permet de mesurer la mobilité sociale des femmes à partir de leur propre position sociale et leur mobilité sociale à partir de la position sociale de leur mère pour les générations les plus récentes.

La mobilité intragénérationnelle qui correspond au changement de position sociale d’un individu pendant sa vie active sera appelé mobilité professionnelle. Ce dernier décrit les parcours individuels comme une succession d’états caractérisés par les indicateurs d’activité (emploi, chômage, inactivité) ou de professions (catégories socioprofessionnelles).

2. Les différents types de mobilité sociale.

Lorsque la position et l’origine sociale sont identiques, on parle de reproduction sociale (ou immobilité sociale) ; sinon, l’individu est en mobilité sociale. Celle-ci peut être de trois types :

  • d’une part, elle peut correspondre à une amélioration du statut social, il s’agit alors d’une promotion sociale ou mobilité ascendante (verticale) ;

  • d’autre part, elle peut signifier une perte de statut, on parle alors de démotion sociale ou mobilité descendante (verticale), mais aussi de déclassement ;

  • enfin, l’individu peut avoir une profession différente de ses parents mais un statut équivalent, on parle de mobilité horizontale.

Les notions de mobilité, bien que distinctes, peuvent toutefois être partiellement liées. En effet, on observe des inégalités d’accès à la mobilités intergénérationnel en fonction du lieu de résidence, mais aussi des inégalités d’accès à la mobilité géographique en fonction de sa position sociale.

B) La mesure de la mobilité sociale: les tables de mobilité.

Pour rendre compte de la mobilité sociale, on utilise un outil en particulier : les tables de mobilités. Une table de mobilité est un tableau à double entrée qui croise la position sociale d'un individu (l’enquêté) avec celle de son père.Pour réaliser ces tables, on utilise généralement l'enquête « Formation qualification professionnelle » (FQP) qui porte le plus souvent sur les hommes actifs occupés ou anciens actifs occupés âgés de 40 à 59 ans.

1. Les tables de mobilité brutes.

En France, l’INSEE collecte les données de mobilité sociale dans l’enquête sur l’Emploi depuis 1953 et dans l’enquête Formation et qualification professionnelle (FQP) depuis 1970. Ces enquêtes interrogent un échantillon représentatif d’homme en âge de travailler et de femme depuis 2003 pour enquête emploi. Les individus n’ont pas la même profession toute leur vie mais on ne considère qu’une et une seule profession par individu. On collecte la profession du fils (enquêté) au moment de l’enquête et celle du père au moment où le fils terminait ses études. On interroge les personnes à 40 ans (car à ce moment là, la mobilité professionnelle est plus faible). C'est la personne interrogée qui donne la profession de son père à sa sortie d'étude. Il existe aussi des tables de mobilités décrivant la position des femmes en fonction de celle de leur père. Ces enquêtes nous donnent des tables de mobilité brutes, qui seront ensuite transformées en table de recrutement et en table de destinée.

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L’observation des tables de mobilités permettent de montrer que les positions sociales ne sont pas complètement déterminées par l’origine sociales, bien que la reproduction sociale reste importante. La reproduction sociale correspond à la situation où un individu occupe une position sociale identique à celle de son père. C’est le cas par exemple lorsqu’un fils d’agriculteur devient agriculteur, un fils de cadre devient cadre. Elle est représentée par la diagonale de la table de mobilité.

La mobilité observée, quant à elle, représente la proportion d’individus en mobilité sociale (mobilité « brute » ou « absolue », c’est-à-dire la part des individus qui changent de position sociale par rapport à leur père. On peut remarquer que la mobilité observée dépend du nombre de catégories retenues pour le découpage de la population : plus les catégories sont fines et plus la société semble mobile. La part des mobiles parmi les hommes de 30 à 59 ans est de 63,4 % en 2017. Elle se calcule en faisant :

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2. Les tables de destinées.

Une table de destinée se construit à partir de la table de mobilité brute. Elle est exprimée en pourcentage. Elle permet d’indiquer ce que deviennent les individus. Elle permet de répondre à la question suivante : « Que sont devenus les fils de telle ou telle catégorie ? ». En partant des pères, on s’intéresse donc au destin des fils. La lecture se fait en ligne et dans le sens père/fils.

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la table de destinée et de recrutement qui suivent ont été construites à partir des enquêtes Emploi de 2010 à 2014 et sont conformes à l'approche classique de construction des tables de mobilité. Elles fournissent des données statistiques récentes sur la mobilité intergénérationnelle brute des actifs (hommes et femmes) nés entre 1955 et 1979 et donc âgés de 35 à 59 ans en 2014. (http://ses.ens-lyon.fr/ressources/stats-a-la-une/la-mobilite-intergenerationnelle-des-actifs-au-debut-des-annees-2010). J'ai choisi de travailler plus en détail sur ces données qui prennent également en compte la mobilité sociales des femmes et pas seulement des hommes.

3. Les tables de recrutement (ou origines).

Une table de recrutement se construit à partir de la table de mobilité brute. Elle est exprimée en pourcentage. Elle permet d’indiquer d’où sont issus les membres d’une catégorie sociale. Elle permet de répondre à la question suivante : « Que faisaient les pères des enfants dans telle ou telle catégorie ? ». En partant des catégories socioprofessionnelles, on s'intéresse aux pères. La lecture se fait en colonne dans le sens fils/père.

Table de recrutement

Table de recrutement

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C) Apports et limites des tables de mobilité.

Les tables de mobilité constituent des instruments statistiques stabilisés permettant de mesurer la mobilité intergénérationnelle et d'apprécier ainsi la mobilité ou la rigidité de la structure sociale. Elles permettent d'effectuer des comparaisons historiques. Tout ce que l'on va montrer dans la suite de ce chapitre s'appuie sur l'étude de ces tables, qui permettent donc de dire beaucoup de choses sur l'évolution de la société. Néanmoins, comme tout instrument statistique, elles reposent sur des conventions qui ont des limites.

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II] La société française est-elle mobile ?

A) La mobilité sociale augmente-t-elle?

1. La différence entre mobilité sociale observée et fluidité sociale (mobilité relative)

La mobilité observée (ou mobilité brut) désigne la part des individus (souvent des hommes de 40 à 59 ans) qui occupent une PCS différente de celle de leur père. Elle s’exprime à travers des taux absolus de mobilité : par exemple, x% des fils d'ouvriers deviennent cadres. Cela concerne l'ensemble des trajectoires mobiles, qu'elles s'expliquent par une mobilité nette ou structurelle.

La mobilité structurelle est la mobilité engendrée par les modifications de la structure des emplois entre deux générations. C'est donc la mobilité qui est induite par les changements des places à pourvoir dans les catégories socioprofessionnelles entre la génération des pères et celle des fils. Elle représente en quelque sorte la mobilité minimale imposée par l’évolution de la structure des emplois entre deux générations. Par exemple, la baisse de la part relative des agriculteurs dans la population active entraîne mécaniquement qu’une partie de leurs enfants change de catégorie sociale. La mobilité nette est celle qui ne s’explique pas par l’évolution de la structure des emplois. Elle est égale à la mobilité totale (ou mobilité brute) moins la mobilité structurelle.

Aujourd'hui, les sociologues s'intéressent beaucoup à la notion de fluidité sociale, car elle permet de mesurer la force du lien entre origine et position sociales, c’est-à-dire de mesurer les chances respectives d'atteindre telle ou telle position sociale selon son origine sociale. La fluidité sociale se mesure alors par des taux relatifs de mobilité, via la méthode du rapport de chances relatives (odds-ratio) : par exemple, on calcule qu'un fils de cadres a x fois plus de chances d’appartenir à la catégorie des cadres qu’un fils d'ouvriers. La société sera qualifiée de plus fluide si le rapport de chances relatives diminue, donc que l'origine sociale influence moins la position sociale des individus. Ainsi, l'étude de la fluidité sociale permet de mesurer l'égalité des chances : une hausse de la fluidité sociale correspond donc à une plus grande égalité des chances. On parle d'égalité des chances si tous les individus ont la même probabilité d'accéder aux différentes positions sociales, quelque soit leur origine sociale. Il y aurait parfaite égalité des chances si un fils de cadre avait la même probabilité de devenir cadre qu'un fils d'ouvrier. D ans cette situation le rapport des chances relatives serait égal à 1. En revanche, plus la valeur du rapport diffère de 1, plus la répartition des positions sociales est inégalitaire.

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2. l’évolution de la mobilité sociale et de la fluidité sociale

Evolution de la mobilité sociale et de la fluidité sociale

Evolution de la mobilité sociale et de la fluidité sociale

En France, sur le long terme, la mobilité sociale des hommes a fortement progressé jusqu’en 1993, principalement grâce aux transformations structurelles de la société. On observe cependant que la mobilité structurelle recule depuis 2003. En effet, En 1977, 57 % des hommes âgés de 40 à 59 ans étaient mobiles, la mobilité structurelle représentait 35 % (20/57) de cette mobilité. En 2003, 64 % de ces hommes sont mobiles et la mobilité structurelle représente alors 39 % (25/64) de cette mobilité. Enfin, en 2014-2015, la mobilité sociale est stable puisque ce sont 63 % des hommes âgés de 40 à 59 ans qui sont mobiles. La mobilité structurelle est alors en baisse et ne représente plus que 28,6 % de cette mobilité. Une société mobile n’est pas nécessairement une société plus fluide, puisqu’une société qui connaît une forte mobilité structurelle augmente les chances de changer de position sociale sans nécessairement augmenter l’égalité des chances. Néanmoins, on observe en France une augmentation de la fluidité sociale jusqu’en 1993. En effet, alors qu’un fils de cadre avez 99,5 fois plus de chance qu’un fils d’ouvrier de devenir cadre plutôt qu’ouvrier en 1985, le rapport des chances relatives est passé à 36,5 en 1993 et à 27,6 en 2003. Depuis, la fluidité sociale stagne ainsi que la mobilité sociale.

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B) L’ascension sociale est plus importante que le déclassement mais ce dernier progresse plus rapidement.

La mobilité sociale ascendantes et descendantes; Insee et enquête FQP

La mobilité sociale ascendantes et descendantes; Insee et enquête FQP

Les tables de mobilité permettent aussi de faire ressortir des éléments de mobilité observée portant sur la reproduction sociale, ainsi que les mobilités ascendantes et descendantes, c’est-à-dire le déclassement. Comme nous l’avons déjà écrit, la reproduction sociale correspond à la situation où un individu occupe une position sociale identique à celle de son père. On parle également d’immobilité sociale. La société française est une société de plus en plus mobile puisque l’immobilité sociale est en léger recul depuis 1985 (38,4 % de la population en 1985 contre 35,2 % en 2015). Néanmoins, Camille Peugny montre qu’il perdure une forte reproduction sociale en bas et en haut de l’échelle sociale, ce qui ramène à la présence de groupes sociaux relativement étanches.

La mobilité sociale peut être une mobilité horizontale, c’est-à-dire un changement de PCS (ou à l’intérieure d’une PCS) des enfants par rapport à leurs parents, tout en maintenant une position sociale équivalente. Elle peut également être une mobilité de statut, c’est-à-dire quand les enfants n’ont pas le même statut juridique que leur parents. Par exemple quand ils sont salariés alors que leurs parents étaient indépendants. En France, la mobilité de statut a largement baisée, passant de 39 % des actifs en 1977 à 21,7 % en 2015. Cela s’explique notamment par la généralisation du salariat.

La mobilité sociale peut également être une mobilité verticale, c’est-à-dire une mobilité intergénérationnelle qui conduit les enfants à avoir une position sociale différente que leurs parents dans la hiérarchie sociale. Cela peut se traduire par une ascension sociale ou par une démotion sociale, c’est-à-dire un déclassement. La mobilité verticale se fait principalement entre position sociale proche. On observe une progression de la mobilité sociale ascendante puisqu’en 1977 14,9 % des actifs sont concernés contre 26,8 % en 2015. La mobilité sociale est donc plus probable que le déclassement connu par uniquement 16,3 % des actifs en 2015. Néanmoins, ce dernier est en forte augmentation, puisque seulement 7,2 % des actifs en 2003 avaient une position sociale inférieure à celle de leur père. Le déclassement a donc plus que doublé en 12 ans.

Le déclassement social correspond à la descente d’un individu dans l'échelle sociale. Ce phénomène est en partie lié à la dévalorisation relative de certains diplômes. Le déclassement peut être intergénérationnel (position d’un individu inférieure à celle de ses parents), intragénérationnel (passage au cours d’une carrière à un groupe social moins élevé), ou scolaire (l’individu possède un diplôme supérieur à celui requis pour l’emploi qu’il occupe). Les tables de mobilité sociale mettent en avant seulement le déclassement intergénérationnel. Bien que les déclassements se font principalement entre positions sociales proches, certains connaissent de forts déclassements. En effet, les hommes issus du haut de l’échelle sociale connaissent de plus en plus souvent de forts déclassements sociaux (fils de CPIS ou PI devenus des ouvriers ou des employés). Camille Peugny montre que ces forts déclassements ne sont pas compensés par une progression des trajectoires ascendantes des classes populaires.

C) La particularité de la mobilité sociale de femmes.

La mobilité des femmes a longtemps été ignorée par les sociologues, du fait notamment de l’important taux d’inactivité des femmes, liée à leur moindre participation au marché de l’emploi. Les taux d’activité féminins ayant rejoint les taux masculins, la dernière enquête FQP réalisée par l’INSEE et les dernières tables de mobilité publiées permettent aujourd’hui de comparer précisément la mobilité sociale des hommes avec celle des femmes, en étudiant à la fois la destinée des femmes par rapport à leur père mais aussi par rapport à leur mère.

On observe une plus grande mobilité sociale chez les femmes que chez les hommes. La mobilité ascendante des femmes par rapport à leur mère est beaucoup plus importante également que celle des hommes par rapport à leur père. Cette forte mobilité ascendante des femmes s’explique largement par un niveau socioprofessionnel plus faible des mères (ce sont les premières générations à être entrées massivement sur le marché du travail comme employées, secrétaires, ouvrières...). Il est en effet plus facile d’être en mobilité ascendante lorsque le parent de référence occupe une position basse dans l’échelle sociale. Cette forte mobilité sociale féminine s’explique donc largement par les grandes mutations de l’emploi féminin sur 40 ans (hausse des qualifications, diversification des secteurs d’activité...). En effet, la mobilité structurelle des femmes est importante est constante de 1977 à 2003 (entre 41 et 43 % des femmes connaissent une mobilité qui s’explique par les changements structurels de a société française). Il faut donc nuancer cette approche par l’observation de la mobilité sociale des femmes par rapport à leur père. On observe alors que les femmes connaissent moins de mobilité ascendante et plus de déclassement que les hommes. Ainsi en 2014-2015, seulement 21,8% des femmes sont en mobilité ascendante par rapport à leur père contre 27,6% des hommes et 25% des femmes sont en mobilité descendante contre seulement 15% des hommes.

III] La mobilité sociale s'explique par l'évolution de la structure d'emploi, la formation et les ressources et configurations familiales

A) L'évolution de la structure socioprofessionnelle conduit à une mobilité structurelle.

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La mobilité sociale est en partie une mobilité structurelle qui s’explique par des transformations socio-économiques qui ont lieu dans l’après-guerre au cours des Trente glorieuses, tant dans les différents secteurs d'activités que dans la généralisation du salariat (déclin du secteur primaire avec le développement du machinisme ; déclin de l’emploi industriel causé par le progrès technique et des délocalisations ; développement du secteur tertiaire). En effet, les individus qui arrivent sur le marché du travail dans les années 60 vont bénéficier d’un contexte favorable avec un très faible taux de chômage et la naissance de nouveaux besoins en matière de santé, d’éducation ou de loisirs qui ont conduit au développement de certaines professions (médecins, infirmiers, enseignants, journalistes) situées plutôt dans le haut de la hiérarchie sociale (cadres, professions intellectuelles supérieures, professions libérales, professions intermédiaires). Cette mobilité structurelle facilite alors la mobilité ascendante. Il faut noter que la transformation de la structure des emplois des hommes est surtout opérée à la fin des Trente Glorieuses tandis qu’elle survient plus tardivement pour les femmes.

Toutefois, au milieu des années 70 l’environnement économique se dégrade (2 chocs pétrolier). On observe un ralentissement du développement des classes moyennes, ce qui contribue également à réduire les perspectives de mobilité sociale ascendante pour les enfants issus des catégories populaires. Ensuite, les places deviennent de plus en plus chères : avec la massification de l’enseignement, de plus en plus de candidats postulent à ces catégories, dans lesquelles le nombre de places tend parfois à s’amenuiser, comme cela s’observe dans le recrutement d’agents de la fonction publique dans un certain nombre de secteurs (éducation, culture, santé). Enfin, le développement du chômage de masse et de la précarité professionnelle rend également les perspectives de mobilité sociale ascendante moins fortes.

B) La hausse des niveaux de formation a permis une mobilité ascendante, aujourd’hui freiné par l’inflation scolaire

Il est indéniable que le système scolaire s'est démocratisé puisque de plus en plus d'individus accèdent au baccalauréat, toutes catégories socioprofessionnelles confondues. L'école permet la mobilité sociale dans la mesure où l'école est accessible à tous, les études sont gratuites, les systèmes de bourses limitent l'inégal accès. Grâce au diplôme, les individus peuvent améliorer leurs conditions d'existences. Pour le sociologue Tristan Poullaouec, le diplôme reste la meilleure arme des faibles, c’est-à-dire, pour les individus des catégories populaires, le moyen de s’élever dans la stratification sociale. Le diplôme est donc aujourd’hui le facteur explicatif le plus important de la position sociale. La massification mais surtout la démocratisation scolaire a alors contribué à la progression de la fluidité sociale et donc au progrès de la mobilité sociale.

Néanmoins, la hausse des niveaux de formation a été plus rapide que le développement des emplois de cadres et profession intermédiaire. On observe alors une situation paradoxale où une génération plus diplômées que leurs parents ont pourtant une position sociale équivalente voire inférieure. Il existe donc des situations de déclassement scolaire et intergénérationnel. La métaphore économique de « l’inflation des diplômes » est utilisée pour montrer le risque de perte de valeur des titres scolaires, autrement dit, le fait qu’avoir un niveau de diplôme donné garantit moins qu’avant l’accès à un emploi qualifié.

Enfin, selon P. Bourdieu, l'école est un instrument de reproduction sociale car ce qui est valorisé à l'école n'y est pas nécessairement enseigné. Par exemple, a prise en compte par l'école (lors des évaluations) du niveau de langue et des exigences de forme crée des inégalités car leur maîtrise dépend pour une large part de la complexité de la langue transmise par la famille. Par conséquent, les classes populaires, qui disposent d'un capital culturel moins fort que les classes supérieures réussissent moins bien à l'école. De plus, parmi les étudiants, les enfants des catégories les moins favorisées accèdent moins souvent aux études les plus prestigieuses. Pour Bourdieu, l’école transforme donc les inégalités sociales en inégalités scolaires, qui a leur tour sont à l'origine d'inégalités sociales et économiques. L’idéologie méritocratique légitime cette sélection : l'école étant égalitaire et gratuite, tout le monde est censé réussir selon son effort dans le travail. Si l'on ne réussit pas, ce serait par manque de travail : on a donné les mêmes chances à tout le monde. L'école joue donc un rôle de légitimation et de naturalisation des inégalités : elles apparaissent comme acceptable.

C) Les ressources et les configurations familiales peuvent favoriser ou freiner la mobilité sociale.

Les familles ne disposent pas les mêmes ressources. Les ressources familiales sont l’ensemble des moyens économiques (revenu et patrimoine), des réseaux de relations socialement utiles (capital social) et des connaissances et attitudes socialement valorisées (capital culturel) dont une famille peut faire bénéficier ses membres. En effet, les familles qui sont mieux dotés en capital économique peuvent financer des cours particuliers, des séjours linguistique ou des écoles privées pour favoriser la réussite de leurs enfants. Ils peuvent également adopter des stratégies résidentielles en habitant dans des quartiers bourgeois et près d’écoles socialement valorisées. Les inégalités de revenu des familles impacte de façon importante la mobilité sociale des enfants car le soutien financier apporté est déterminant dans le cadre des études supérieures et de l’accès à l’emploi.

Ensuite, les parents fortement diplômé et disposant donc de captal culturel peuvent davantage assister leurs enfants dans leur scolarité (exemple des enfants d'enseignants). Ils peuvent également adopter des stratégies de contournement de la carte scolaire grâce à leur connaissance du système scolaire par des choix d’options. De plus, la transmission de leur capital culturel avantage leurs enfants dans la réussite scolaire.

Par ailleurs, les catégories sociales les plus favorisées prolongent leurs avantages au-delà du diplôme : l'insertion professionnel, à diplôme équivalent, est rendu plus aisé par le capital social de la famille, c’est-à-dire par ensemble des relations sociales dont dispose un individu ou un groupe qui peuvent être utilement mobilisé. Au total, la détention de capital, c’est-à-dire de ressources familiales permet la reproduction sociale des classes dominantes. Néanmoins, certains parents ne détenant qu’un type de capital, peut le mobiliser pour permettre une ascension sociale à ses enfants. C’est le cas, par exemple, des enseignants qui sont fortement doté en capital culturel mais pas en capital économique ou social par exemple. C’est également le cas de la bourgeoisie d’affaire qui possède du capital économique mais relativement moins de capital culturel.

La démocratisation de l’accès au diplôme n’empêche pas le maintien d’inégalités que l’on peut associer aux différences de ressources mais aussi de configurations familiales. La notion de configuration familiale permet de ne pas penser la famille comme une notion unique mais d'aborder la diversité des familles selon le milieu social, la taille de la fratrie, la situation conjugale, la trajectoire des parents, leur origine migratoire, etc. On observe notamment que l’échec scolaire est plus fréquent dans les familles monoparentale, mais aussi dans les familles populaires qui ont beaucoup d’enfants. En effet, les ressources définissent les conditions de vie (chambre individuelle, cours particuliers, aide aux devoirs, relations familiales) des enfants et moins les enfants sont nombreux et plus les ressources sont concentrées sur un petit nombre, ce qui peut faciliter la réussite scolaire.

La configuration familiale (Lahire) représente également l’ensemble des relations et rapports existants entre les membres d’une même famille dans une société donnée et à un moment donné. Ce n’est pas parce qu’une personne grandit dans une famille fortement dotée en capital culturel qu’elle va hériter de celui-ci. En effet si les membres de la famille ne créent pas de façon régulière les conditions de la transmission de leur capital culturel alors l’individu n’en héritera pas. Cela implique donc d’analyser les relations qu’entretiennent les membres d’une même famille, ce que les statistiques ne font pas. Deux familles dont le capital culturel est équivalent mais dont les relations, rapports entre les membres de la même famille sont différents peuvent être à l’origine de trajectoires scolaires différentes. Bernard Lahire montre d'ailleurs qu'il est préférable de regarder le capital culturel, notamment les diplômes, de la mère plutôt que ceux du père afin de mieux rendre compte de la transmission du capital culturel car c'est principalement les mères qui s'occupent de l'éducation des enfants. Par exemple, a situation équivalente des parents, la présence dans la famille d’un ou d’une aîné étudiant et chargé de surveiller les devoirs des frères et sœurs modifie certainement les conditions de socialisation en ce qui concerne le rapport à l’école ou à la culture. De même, des parents fortement diplômés mais ayant des emplois du temps très chargés ne vont pas pouvoir directement transmettre le capital culturel, même si les enfants vivent dans un cadre riche en objets culturels (bibliothèque).

Les interactions entre école et famille permettent d'expliquer les réussites paradoxales et les méshéritiers. La réussite paradoxale est le fait que certains élèves dont les caractéristiques socio-culturelles (origine sociale, lieu de résidence...) prédisposent à l'échec scolaire, connaissent des réussites brillantes.. Les réussites paradoxales sont avant tout liées «  au rapport au savoir » des milieux populaires : les personnes, bien qu'ayant un faible capital culturel, vont investir beaucoup de temps et d'attention envers les résultats scolaire de leurs enfants (aides aux devoirs, attention aux notes, les liens avec les professeurs), afin de leur permettre une mobilité sociale ascendante. De même il existe des « méshéritiers » : des élèves en difficulté alors que leurs parents sont fortement diplômés.

Publié dans Terminale ES

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