Quels liens sociaux dans des sociétés où s'affirme le primat de l'individu ?

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Cours de sciences économiques et sociales SES de terminale économique et sociale ES.

 

Intégration, conflit, changement social.

Quels liens sociaux dans des sociétés où s'affirme le primat de l'individu ?

 

Objectifs :

Expliquer l'évolution des formes de solidarité selon Durkheim.

Expliquer que la solidarité organique n'a pas fait disparaître la solidarité mécanique : les liens nouveaux liés à la complémentarité des fonctions sociales n'ont pas fait pour autant disparaître ceux qui reposent sur le partage de croyances et de valeurs communes.

Expliquer que les différentes instances d'intégrations (famille, école, travail) ont évoluées dans les sociétés contemporaines.

Expliquer que ces évolutions peuvent conduire à une remise en cause de l'intégration sociale, ou une évolution de ses formes.

 

Notions à connaître :

Acquis de première : socialisation, sociabilité, anomie, désaffiliation, disqualification, réseaux sociaux.

A acquérir en terminale : Lien social, Intégration sociale, Cohésion sociale, Conscience collective, Division du travail social (Durkheim), Solidarité mécanique (similitude), Solidarité organique (complémentarité), Processus d'individualisation, Individualisme (sociologique), Famille, Processus de désinstitutionnalisation, Liens affinitaires (électifs), Massification et démocratisation scolaire, Démocratisation ségrégative, Déclassement scolaire, Paradoxe d'Anderson, Formes particulières d'emploi, Précarité

Vous pouvez trouver ci-joint le dossier documentaire pour les élèves :

Introduction : la cohésion sociale dépend de l'intégration sociale et du lien social.

Le lien social est ce qui relie les individus les uns aux autres dans une société, en prenant notamment la forme de communications sous des formes diverses et d'échanges entre les individus. Les individus dans une société ne sont pas identique, avec des différences de personnalité, de valeur et de norme. Le lien social permet aux individus de savoir que malgré leurs divergences, ils appartiennent à la même société.

On peut rendre compte du lien social à travers la sociabilité des individus, ou encore leur appartenance à des réseaux sociaux. On peut définir réseau social comme les relations que les individus ou les groupes sociaux qui le composent entretiennent entre eux, la façon dont ces relations façonnent les comportements individuels et la façon dont ces comportements contribuent a leur tour a modifier les relations (relation des individus entre eux). La sociabilité désigne l'ensemble des relations sociales effectives, vécues, qui relient l'individu a d'autres individus par des liens interpersonnels et/ ou de groupes (relation d'un individu particulier avec les autres).

Le lien social est transmis à travers la socialisation, qui est le processus pendant lequel l'individu, tout au long de sa vie, va intérioriser les normes et les valeurs de la société, mais aussi des groupes sociaux auquel il appartient.

La socialisation participe donc à l'intégration des individus dans la société. L'intégration sociale est le processus par lequel un individu devient membre de la société ou d'un groupe social. Notons qu’aujourd’hui, l’usage social du terme restreint l’intégration, à tort, aux groupes des immigrés et à leurs enfants.

L'intégration sociale permet la cohésion sociale. C'est une situation dans laquelle des membres d’une société entretiennent des relations sociales entre eux, partagent des valeurs communes et ont le sentiment d’appartenir a la même société. Ces notions permettent de mettre en évidence le fait que la société n'est pas un groupement d'individus atomisés mais repose sur l'existence de relations sociales complexes entre des membres plus ou moins intégrés, qui ne se connaissent pas forcément.

 

I] L'évolution des formes de cohésion social : des sociétés traditionnelles aux sociétés modernes.

 

La naissance, à la fin du 19e siècle, de la sociologie comme discipline visant une connaissance scientifique du social, peut être analysée comme une conséquence des inquiétudes provoquées l'apparition de nouveaux rapports sociaux, économiques et politiques qui bouleversent progressivement l’ordre social traditionnel :

- affaiblissement de l’emprise de la religion sur les représentations,

- baisse de l’influence de la famille sur les destinées,

- recul du pouvoir des autorités traditionnelles sur les individus.

Comment se fait-il que tout en devenant plus autonome, l’individu dépende plus étroitement de la société ? Comment peut-il être à la fois plus personnel et plus solidaire ?

Durkheim E., De la division du travail social, PUF, Quadrige, 1893

A) Le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique : l’émergence de l'individu.

 

1. La division du travail sociale modifie la forme de la cohésion sociale et permet l'émergence de l'individu.

 

Chez Durkheim, la solidarité mécanique caractérise les sociétés traditionnelles. Les individus sont semblables, peu différenciés ; forte conscience collective ; propriété collective ; forte place de la religion et des représentation collective ; l'individu n'existe pas en tant que tel : c'est une partie d'un groupe (on : nous).

La conscience collective correspond, chez Durkheim, à « l'ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une même société » c'est-à-dire communs à tous les membres d’une société. Cette conscience est d'autant plus collective qu'elle est universellement partagée dans le société, elle est d'autant plus individuelle qu'elle s'écarte de la moyenne (et donc que le fonctionnement de la société permet de s'en écarter).

Chez Durkheim, la solidarité organique caractérise les sociétés modernes. Il y aune plus grandes différenciation des individus, notamment du fait de la division du travail social : les individus sont spécialisés ; plus grande affirmation de la conscience individuelle ; apparition d'un individu en partie autonome du groupe (je : moi).

Durkheim parle de société moderne à solidarité organique en faisant une comparaison avec le corps humain. Chaque individu jouerait dans la société un rôle différent, mais complémentaire, interdépendant de celui des autres. C’est comme les différents organes du corps humain qui remplissent des fonctions différentes les unes des autres mais sont tous indispensables pour le bon fonctionnement du corps dans son ensemble.

La division du travail social participe au processus d'individualisation : les individus remplissent des fonctions différenciées, se particularisent, ce qui renforce l’individualisme.

La division du travail social correspond au processus par lequel les individus se spécialisent dans des tâches précises. Pour Durkheim, elle concerne tous les aspects de la vie sociale et pas seulement une spécialisation des tâches dans la sphère de la production, mais plus généralement dans l'ensemble des activités sociales (administration, justice, science etc...). Ainsi, il n'y a plus trois ordres (ceux qui travaillent, notamment au champ ou artisans, ceux qui bataillent et ceux qui prient) mais une grande variété de métiers dans des secteurs très différents. Cette division du travail social est lié au développement, notamment économique, des sociétés et vient bouleverser le régime ancien d'interdépendance entre les individus. Durkheim remarque que les deux mouvements d’autonomie de l'individu et de dépendance se poursuivent parallèlement : il y a un passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique.

La solidarité mécanique caractérise les sociétés traditionnelles et préindustrielles. Dans ce type de société, les individus sont très peu différenciés, ils sont interchangeables dans leur fonction économique. Les valeurs et les croyances communes sont homogènes : la conscience collective domine les consciences individuelles. La solidarité organique caractérise les sociétés industrielles et est fondée sur la différence et la complémentarité entre les individus. La conscience collective est faible, les individus sont davantage libres d’agir selon leur conscience individuelle. Chaque individu a d’autant plus besoin des autres pour vivre qu’il est spécialisé dans une activité. D'où une interdépendance croissante entre les membres de la société, vecteur de cohésion sociale.

La division du travail social contribue, par la différenciation, au processus d'individualisation : l’individu s’affranchit de plus en plus des règles et des valeurs collectives. C’est donc le processus par lequel l’individu s’autonomise du reste de la société. Les sociétés humaines sont donc marquées sur le long terme par une montée de l’individualisme (sociologique) : chaque individu devient plus autonome, bénéficie d'une vie privée (exemple : choix de la mise en couple, chambre individuelle pour les adolescent), et a conscience d'être une personne particulière.

 

Attnetion : Ne pas confondre individualisme et égoïsme. L’altruisme n’a pas disparu avec l’individualisme. Les individus peuvent choisir d’aider les autres mais ne se laissent plus dicter leurs comportements.

Quels liens sociaux dans des sociétés où s'affirme le primat de l'individu ?

2. Cependant, la division du travail sociale est génératrice d'anomie.

Selon Durkheim, l'anomie est liée au changement des sociétés : la division du travail pendant la révolution industrielle a été un phénomène de transformation profond et rapide, qui se traduit par un affaiblissement de l'emprise des normes sociales sur les conduites individuelles car ces dernières ne sont pas encore clairement définies ou plus adaptées à la situation. Il y a par ailleurs une illimitation des désirs.

 

L'anomie peut être définie comme une situation dans laquelle les normes sociales sont inexistante, floues ou contradictoire, de sorte que l'individu ne sait plus comment orienter sa conduite. C'est une perte de repères. Pour Durkheim, le passage d’une solidarité mécanique à une solidarité organique et la montée de l’individualisme qui l’accompagne peuvent provoquer certains désordres, notamment le fait que l'individu ne sait plus quelles limites apporter à ses désirs : il poursuit une quête sans issue, s'exposant ainsi au désespoir, aux déceptions dues à cette course sans fin.

Les individus ne sont plus guidés par des normes claires, structurantes et contraignantes ; il ne parviennent pas à atteindre les objectifs qu’ils se sont assignés. Par conséquent, l’anomie déstabilise les individus car ils ne savent plus comment orienter leurs conduites : la cohésion sociale est alors menacée.

 

B) La solidarité organique n'a pas totalement remplacé la solidarité mécanique.

 

Durkheim a théorisé le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique mais il indique également que les sociétés modernes voient cohabiter des formes de solidarité mécanique et organique : la solidarité organique devient la forme dominante de solidarité mais ne remplace pas totalement la solidarité mécanique.

 

De nombreux liens sociaux contemporains entretenus par des groupes, des mouvements ou des institutions conservent des dimensions relevant de la solidarité mécanique (communautés basées sur la coutume locale, la langue ou l’appartenance ethnique ; mouvements religieux ou spirituels...). Ces groupes continuent de rassembler les individus autour de croyances et de valeurs partagées. Les liens qu’ils tissent, fondés sur la similitude et la proximité d’origine (l’ethnie), de lieu (régionalisme et coutumes), de croyances (groupes religieux ou spirituels), de culture (style de vie) ou de valeurs (causes à défendre), apparaissent caractéristiques de la solidarité mécanique. La diversité de ces groupes et des croyances est fort différente de la conscience collective homogène des sociétés traditionnelles (« tout le monde » était catholique, respectait les valeurs religieuses...), ce n'est donc pas contradictoire avec le processus d'individualisation.

Un exemple canonique est l'exemple des bandes de jeunes. L'appartenance à une bande plutôt qu'un autre est lié à l'attachement résidentiel : habiter quand une quartier plutôt qu'un autre, une cité plutôt qu'une autre. C'est aussi un moyen pour les jeunes à la fois d'affirmer leur appartenance à un groupe et de se distinguer d'autres groupes. Il y a une forme de solidarité, de cohésion du groupe qui est liée à l'appartenance résidentiel. Cette cohésion s'exprime par la solidarité entendue comme dépendance réciproque entre les individus du fait des liens qu'ils ont entre eux. Ainsi, si un membre du groupe a un problème, les autres membres se doivent de « bouger » pour aider ce membre. Cet exemple illustre le maintien de formes de solidarités mécaniques qui reposent sur une forte conscience collective.

II] Quelles sont les conséquences de l'individualisation et des mutations socio-économiques sur les instances d'intégration ?

 

L’individualisation s’accompagne également d’une fragilisation des individus. Des conditions socio-économiques précises doivent être réunies pour permettre aux individus de s’individualiser. Que se passe-t-il lorsque ces conditions ne sont pas réalisées ?

 

A) Le rôle de la famille dans l'intégration sociale.

 

Une famille est un ensemble de personnes ayant des liens de parenté ou d'alliance. Pour l'Insee, une famille nucléaire est la partie d'un ménage comprenant au moins deux personnes qui vivent sous le même toit et constituée soit d'un couple (marié ou non) avec ou sans enfant(s) ; soit d'un adulte avec son ou ses enfant(s). Nucléaire : cœur de la famille.

La famille est la première instance de socialisation. Elle transmet les normes et les valeurs de la société aux individus et détermine en partie leur parcours individuel. Par ailleurs, elle a pour rôle d'assurer une certaine sécurité affective et de soutien aux individus. La famille a fortement évolué en France notamment depuis mai 68 : remplacement de l’autorité paternel au profit de l’autorité parental, développement et encouragement du travail des femmes. Il y a donc une diminution de la figure et du rôle unique du père, au profit d’une plus grand égalité et de la reconnaissance du rôle de la mère. Parallèlement il y a une hausse des divorces, des familles monoparentales, recomposées, homoparentales… La famille se modifie donc et on peut se demander si ces modifications ont entraîné un affaiblissement de ses fonctions d’intégration.

 

1. Les mutations de la famille interrogent son rôle intégrateur.

 

Depuis les années 1970 on assiste à la diminution des mariages (passage de 370 000 mariages par an en 1970 à 260 000 en 1990), ainsi qu'à une la hausse continue des divorces. On note que depuis sa création en 2000, il y a une augmentation des unions en PACS, qui ne semble pas diminuer l'attrait pour les union en mariage. Ces évolutions ne sont pas dues à une baisse de la mise en couple mais à une montée de l'union libre (or reconnaissance civile : mariage et PACS) : on passe de lien statutaire, qui reposent sur la loi, à des liens affinitaires (électifs) qui reposent sur le libre choix. Ainsi, en 1960, seulement 6,1 % des naissances avaient lieus hors mariage, cela concerne 30,1 % des naissances en 1990 et 47,4 % en 2009. Parallèlement, on assiste à l’émergence des familles monoparentales et recomposées (au moins un enfant issu d'une autre union).

Ces évolutions rendent compte du processus de désinstitutionnalisation de la famille c’est-à-dire un processus d’assouplissement des normes et des règles qui encadrent les comportements individuels, qui réduisent l'emprise de cette institution sur les individus. Ce processus se manifeste par l’instabilité des relations conjugales et la diversification des formes familiales. On parle à ce propos de monté des liens électifs : comme les relations amicales, les relations amoureuses et conjugales doivent être fondé sur la volonté des individus de se mettre ensemble, de partages des valeurs, de pouvoir se faire confiance l’un envers les autres. La montée de l’individualisme s’accompagne de la montée de la valeur de l’accomplissement personnel. Le couple et plus généralement la famille doivent désormais être un lieu d’épanouissement personnel, d'écoute et de compréhension mutuelle : la famille peut être davantage faite ou défaite en fonction des sentiments et des objectifs poursuivis par les individus qui composent le couple que dans le passé. Par ailleurs, la famille ne s’est pas seulement transformée dans sa structure, elle s’est aussi modifiée dans ce qu’elle transmet. Ainsi, la famille doit permettre à l’enfant de s’épanouir en tant qu’individu. Les valeurs traditionnelles de l’autorité parentale tendent à régresser quand celle de l’autonomie émerge. L’autorité des parents est plus facilement remise en cause que lors du 19ème siècle. Le style éducatif n’est plus fondé uniquement sur la contrainte (coercition) mais aussi sur la communication avec l’enfant pour le faire obéir (lui faire comprendre que c’est bon pour lui).

 

2. Néanmoins, la famille demeure une instance fondamentale d’intégration.

 

Quels liens sociaux dans des sociétés où s'affirme le primat de l'individu ?

Une des manières de mesurer l'importance de la famille est de rendre compte des solidarités familiales. On voit que ces dernières sont descendantes (des grands-parents / parents vers les enfants / petits-enfants) tant dans les dons financiers que les aides matérielles et symboliques que ce soit habituel ou en période de crise. Ces solidarités intra-familiales permettent de protéger les membres de la famille contre les risques comme la précarité. Ces solidarités sont aussi ascendants (des plus jeunes vers les plus vieux) comme l'aide des petits enfants envers les grands parents ou celle des enfants vers les parents quand ces derniers sont en perte d'autonomie. Le processus de désinstitutionnalisation n’a donc pas fait disparaître les solidarités familiales, qui vont dans les deux sens. On peut prendre l’exemple des dons venant des grands parents ou des parents lors de l’achat d’un logement ou plus prosaïquement les membres de la famille qui gardent les enfants lorsque les parents ne peuvent pas s’en occuper.

Par ailleurs, alors que les individus se définissent à travers plusieurs critères : la famille, leur métier, leurs amis, leurs loisirs et les lieux auxquels ils sont attachés. La famille reste le critère fondamental de définition de soi puisqu’elle est citée par 86% des personnes interrogées loin devant le travail ou les études cités par 40% des individus. La famille au sens large (ascendants et descendants) constitue encore aujourd’hui le premier facteur d’identité de l’individu ce qui atteste de sa force en tant qu’instance d’intégration.

De plus, la famille, est notamment les parents, grâce aux valeurs transmises lors de la socialisations primaires, permet aux enfants de vivre en collectivité (langage, politesse, pudeur…) et d’entrer dans les apprentissages scolaires. La famille permet donc d’adopter les normes et valeurs citoyennes nécessaires à l’intégration sociale.

 

Il semble donc plus pertinent de parler de mutation de l’institution familiale plutôt que de crise durable : il y a un affaiblissement de l’institution familiale telle quelle était entendue au début du 20è siècle (autorité du père, faible autonomie des individus : enfants et mère) mais une affirmation des liens affectifs (mise en couple/Pacs/mariage par choix, montée des ruptures/divorces) et une plus grande autonomie des membres de la famille, notamment des enfants (émergence de l’individu autonome). Cependant, la famille reste une institution centrale car elle transmet des valeurs qui permettent l’intégration. On mesure l’importance de la famille par l’ensemble des solidarités intra-générationnelles à travers ses membres.

 

B) Le rôle de l’École dans l’intégration sociale.

 

1. L’école, une institution avec un objectif d’intégration sociale.

 

L'école a pour principales missions de transmettre les normes et les valeurs de la République Française, ce qui conduit à transmettre une culture commune. L'école permet l’intégration des individus en les mettant en contact avec les autres dès le plus jeune âge et ce quel que soit leur sexe, leur niveau social, leur nationalité ou leur caractéristiques physique ou intellectuelles. L’école contribue ainsi à la cohésion sociale, notamment par l’apprentissage de la citoyenneté, des valeurs communes nationales (histoire-géographie, ECJS/EMC). L'école transmet aussi des savoirs et permet l’entrée dans la vie professionnelle notamment à travers l'obtention du diplôme.

En 1881-1882, les lois Ferry ont rendu l’école gratuite, laïque et obligatoire jusqu'à l'âge de 13 ans (puis 14 ans à partir de la loi du 9 août 1936). A l’époque de Jules Ferry l’école reste très sélective. Elle reste divisée en deux filières : d’un côté une filière primaire qui est constituée d’une école communal surtout destinées aux enfants des classes populaires et permet de valider le certificat d’étude primaire. Cet enseignement primaire est prolongé par un enseignement secondaire payant donc de fait réservé aux classes supérieures, cette enseignement est prolongé par un enseignement supérieure payant. Il faut attendre 1930 pour que le secondaire devienne gratuit. La massification scolaire se fait réellement pendant les 30 glorieuses avec la réforme Berthoin en 1959 qui rend la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans et surtout grâce à la loi Haby en 1975 qui crée le collège unique : elle prévoit notamment la mise en place d'un « Collège pour tous » (le « secondaire ») gratuit en continuité de l'« École pour tous » (le « primaire »). Cette volonté politique d’ouvrir l’école a également été renforcé dans les années 1985 avec le mot d’ordre de 80 % d’une classe d’age au bac.

Ces réformes ont permis la massification scolaire qui désigne le processus par lequel de plus en plus d’enfants ont un accès l’éducation. On peut parler de « démocratisation quantitative », c’est à dire l’élargissement de l’accès à des études de plus en plus longues, pour un nombre et une part de plus en plus importants de la jeunesse. Mais ces lois ont aussi permis la « démocratisation qualitative » de l’enseignement, alors réservé à une élite : il y a un l’affaiblissement du lien entre l’origine sociale d’un élève et son parcours scolaire. La démocratisation désigne l’accès récent des élèves de toutes les CSP à des études plus longues. En 1914, seulement 1 % d’une classe d’age accède au bac contre 11 % en 1960, 30 % en 1985, 63 % en 1995 et près de 80 % aujourd'hui. Cette massification s’explique par la mise en place des bac technologiques (1969) et professionnel (1985).

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2. Cependant, le rôle intégrateur de l'école est contesté.

 

Bien que l'école est une clé d'entrée sur le marché du travail, la hausse du niveau de diplôme s'est accompagnée d'une hausse du chômage des jeunes, de la précarité, des difficultés d'insertion sur le marché du travail. La possession d'un diplôme ne garanti pas forcément l'intégration sur le marché du travail. En effet, il existe des situations de déclassement scolaire : avoir une position sociale moins valorisée que ce que son diplôme laissait espérer. De même, posséder un niveau de diplôme supérieur à celui de ses parents ne garantit pas de se trouver dans une position sociale plus élevée que la leur (paradoxe d’Anderson).

De plus, observe un phénomène de « démocratisation ségrégative » (Pierre Merle) puisque toutes les voies de scolarisation n’accueillent pas dans les mêmes proportions les mêmes élèves (par exemple, les SEGPA sont composées à 70% d’enfants d’ouvriers, employés et chômeurs, contre 1.6% d’enfants de cadres ; 50% des élèves de CPGE sont des enfants d’enseignants ; etc). Il y a donc un affaiblissement du lien entre l’origine sociale d’un

élève et son parcours scolaire (démocratisation qualitative) mais l'origine sociale continue d'avoir un effet sur le parcours scolaire.

Par ailleurs, Selon P. Bourdieu, l'école est un instrument de reproduction sociale car ce qui est valorisé à l'école n'y est pas nécessairement enseigné. Par exemple, a prise en compte par l'école (lors des évaluations) du niveau de langue et des exigences de forme crée des inégalités car leur maîtrise dépend pour une large part de la complexité de la langue transmise par la famille. Par conséquent, les classes populaires, qui disposent d'un capital culturel incorporé et objectivé moins fort que les classes supérieures réussissent moins bien à l'école. L'école accueille les enfants de toutes origines sociales mais ils n'ont pas tous les mêmes chances de réussir. L’école n’est donc pas la cause des inégalités, mais le discours sur l’égalité des chances et le système méritocratique légitimise les inégalités. En effet, on considère alors que les personnes qui sont classés en bas de la hiérarchie sociale sont responsables de leur position sociale, puisqu’ils auraient pu s’émanciper par l’école.

On observe un phénomène de « démocratisation ségrégative » (Pierre Merle)  puisque l'augmentation du taux de scolarisation s'accompagne d'un accroissement des inégalités sociales de scolarisation

 

3. Néanmoins, l’école reste une instance d’intégration importante.

 

Si les inégalités sociales restent marquées, l'école joue toujours un rôle d'émancipation pour les classes populaires. Au sein du système scolaire français, le décrochage scolaire existe mais il est plus faible que dans d'autres pays européens. De même, la reproduction sociale existe mais elle semble moins importante que dans les autres pays européens (excepté le Royaume-Uni). Si l'enseignement supérieur souffre d'une réelle démocratisation ségrégative (les classes populaires sont sous-représentées dans les grandes écoles et à l'université), certaines filières (ex : BTS) restent de véritables voies de promotion sociale par l'obtention d'un diplôme. Rappelons que selon Eric Maurin, jamais les diplômes n'ont été aussi déterminants pour l'obtention de statuts au sein de la société. Enfin, T. Poullaouec montre dans Le diplôme, arme des faibles. Les familles ouvrières et l'école (2010), que l’école reste le seul moyen d'ascension sociale des classes populaires. On observe d’ailleurs que plus le diplôme est élevé, plus les destinées professionnelles des enfants d’ouvriers se rapprochent de celles des enfants de cadre.


 

C. Le rôle du travail dans l’intégration sociale.

 

1. Le travail, une instance d’intégration sociale fondamentale.

 

On considère généralement que le travail est facteur d'intégration sociale. En effet, le travail permet à l’individu d’obtenir un revenu et donc de subvenir aux besoin élémentaires (logement, nourriture, habillement voire santé) mais aussi de participer ainsi à la société de consommation qui est une composante importante de l’intégration dans un groupe. Il peut ainsi aller au restaurant avec ses amis, aller au cinéma, acheter les vêtements à la mode à ses enfants… la dimension sociale et intégratrice de la consommation est très forte dans les sociétés modernes. Par ailleurs le travail offre une reconnaissance sociale, c'est l’un des facteurs d’identité de l’individu : 40% des individus interrogés citent le travail comme étant une composante de leur identité, juste après la famille (document 9). Le travail permet donc de définir socialement l’individu, de lui donner un rôle dans la société. Enfin, le travail au-delà de donner une identité aux individus est aussi un facteur d’épanouissement personnel et permet à l’individu de multiplier ses relations sociales via ses collègues… Le travail répond donc à des besoins psychologiques d’identité, de reconnaissance et de lien.

Le travail permet également à l’individu d’être protégé via l’État-Providence. L’individu se sait protéger contre certains risques sociaux (chômage, maladie, famille, vieillesse) et cela lui donne un sentiment de sécurité lui permettant de se projeter dans l’avenir et de faire des projets.

 

2. Les mutations de l’emploi et de l’organisation du travail remettent en cause la fonction intégratrice du travail.

Quels liens sociaux dans des sociétés où s'affirme le primat de l'individu ?

Les personnes au chômage ou dont l'emploi relèvent d'une forme particulière d'emploi sont en situation de précarité. Les formes particulières d'emploi (ou emplois atypiques) sont les emplois qui s'éloignent de la norme d'emploi (contrat à durée indéterminée à temps plein). Ce sont les contrats à durée déterminée, l'intérim, les stages, l'apprentissage, les emplois aidés et le travail à temps partiel. C'est donc l'ensemble des emplois précaires et les emplois à temps partiels (qui peuvent être en CDI). La précarité est une situation marquée par une forte incertitude de conserver ou récupérer une situation acceptable dans un avenir proche.

Cette précarité se traduit pas un manque de stabilité dans les relations de travail, ce qui ne permet pas de s'intégrer de manière assurée et durable dans le collectif de travail (fragilisation et perte des relations liées au travail), ne permet pas à l'individu de se définir de manière sereine via sa vie professionnelle puisque celle-ci est toujours en mouvement ce qui peut conduire à un risque d'isolement relationnel liées aux difficultés dans la sphère du travail (fragilisation des relations sociales hors-travail). Par ailleurs, cette précarisation conduit à une dégradation de l'accès aux protections liées au travail car les contrats précaires ne fournissent pas les mêmes protections face aux risques sociaux ce qui engendre encore une fois un sentiment d’insécurité sociale pour les individus touchés par ce phénomène (fragilisation des droits à la protection sociale). Robert Castel nomme cela processus de désaffiliation sociale. C'est un processus car les enquêtes sociologiques montrent que la désaffiliation est le produit d'une suite continue de faits, de phénomènes présentant une certaine unité ou une certaine régularité dans leur déroulement (forme d'emploi précaire puis/ou chômage, puis rétrécissement des liens sociaux et perte d'estime de soi). Le processus de désaffiliation sociale est un processus par lequel un statut social perd son caractère protecteur qui se traduit par un sentiment d'inutilité sociale, une perte de reconnaissance sociale et d'estime de soi. Ce sentiment peut aboutir à une baisse du sentiment d'intégration. Parfois, ce processus peut aller de pair avec un processus de disqualification sociale (Serge Paugam) : processus par lequel une personne est étiquetée comme pauvre, « assistée » ou exclue. Cette personne subit le regard négatif que les autres portent sur elle.

Par ailleurs, la précarité déborde les seuls précaires et inquiète aussi les stables (ce que Robert Castel appelle la « déstabilisation des stables »). Ainsi, les stables peuvent avoir peur de la précarité, ce qui créait des situations anxiogènes par rapport à l’avenir.

Publié dans Ancienne terminale ES

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