Comment est structurée la société française actuelle ?
Spécialité Sciences Économiques et Sociales SES en classe de terminale.
Comment est structurée la société française actuelle ?
Objectifs :
→ Savoir identifier les multiples facteurs de structuration et de hiérarchisation de l’espace social (catégorie socioprofessionnelle, revenu, diplôme, composition du ménage, position dans le cycle de vie, sexe, lieu de résidence).
→ Comprendre les principales évolutions de la structure socioprofessionnelle en France depuis la seconde moitié du XXe siècle (salarisation, tertiarisation, élévation du niveau de qualification, féminisation des emplois).
→ Connaître les théories des classes et de la stratification sociale dans la tradition sociologique (Marx, Weber) ; comprendre que la pertinence d’une approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française fait l’objet de débats théoriques et statistiques : évolution des distances inter (entre) et intra (à l’intérieur) classes, articulation avec les rapports sociaux de genre, identifications subjectives à un groupe social, multiplication des facteurs d’individualisation
Notions à connaître :
Acquis de seconde et de première : Genre, capital culturel, diplôme, qualification, ségrégation sociale, groupe social, processus d’individualisation.
A acquérir en terminale : Stratification sociale, Classe sociale (générique, sens de Marx, sens de Weber), Classe en soi et pour soi (Marx), Polarisation, Catégorie socioprofessionnelle, Genre et rapports sociaux de genre, Âge (position dans le cycle de vie), Structure socioprofessionnelle, Salarisation, Tertiarisation, Qualification, Féminisation des emplois, Moyennisation, Distance inter-classe (entre les classes), Distances intra-classe (au sein), Inégalités, Revenus (du travail et du patrimoine), Niveau de diplôme, Ménage, Niveau de vie, Espace social, Rapports sociaux de sexe, Groupe social, Individualisation, Précarité
L'analyse de la structure sociale permet de rendre compte du degré d'égalité entre les individus dans une société. La stratification sociale correspond à la répartition de la population en groupes sociaux différenciés basés sur l'inégale distribution des ressources et des positions.
I] L’émergence de la société moderne et la naissance de l’analyse de la société en classe sociale.
On peut définir de manière générique classe sociale comme un « groupement ayant une position similaire dans le système productif » car la plupart des auteurs sont en accord avec cette définition.
A) L'approche réaliste et conflictuelle de Karl Marx.
1. Les classes sociales dépendent de leur position dans les rapports de production.
Pour Marx et Engels, les classes sociales ont toujours existé. Depuis l’Antiquité, les classes sociales sont multiples :
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Maîtres et esclaves dans l’Antiquité (mode de production esclavagiste) ;
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Seigneurs et serfs au Moyen-Age (mode de production féodal) ;
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Bourgeoisie et prolétariat (mode de production capitaliste).
Pour Marx, la division de la société est fondée sur les rapports de production : ce sont les modalités selon lesquelles les hommes entrent en relation pour produire, échanger et répartir les richesses. Marx parle de « conditions matérielles d'existence », qui découlent de la place dans le mode de production, pour expliquer qui sont les membres d'une classe sociale. Il écrit dans le manifeste du parti communiste en 1848 que « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. ». Pour lui, le moteur de l'évolution historique est le conflit entre les différentes classes sociales qu'il nomme lutte des classes. Ces différentes classes sociales s’affrontent car elles ont des intérêts divergents (antagonistes).
L'évolution des rapports de production est une évolution historique, elle trouve son origine dans les rapports économiques qui fondent le mode de production. Cette évolution est perçue comme une amélioration des conditions d'existence des individus pour Marx. En effet, l'esclavage est une moins bonne condition que le salariat capitaliste, où le prolétaire s'appartient au moins à lui même et où tout le produit de son travail ne lui est pas confisqué, mais le mode de production capitaliste se caractérise par l'exploitation du prolétariat et par un manque de coordination dans la production ( anarchie de la production) liée à la concurrence occasionnant un gaspillage des ressources contrairement à une économie planifiée.
La bourgeoisie correspond à la classe qui détient les moyens de production. On dit aussi « capitalistes ». Leur but est d’accumuler du capital et de faire du profit. Le prolétariat sont ceux qui ne possèdent que leur force de travail pour vivre. Au 19è, cela correspond à la classe des ouvriers. Ce qui oppose les deux classes sociales est la place qu’elles occupent dans le processus de production. La bourgeoisie possède les moyens de production alors que le prolétariat tente de survivre. Marx précise qu’au fur et à mesure de l’évolution historique, les groupes sociaux intermédiaires (paysans, bourgeoisie financière, foncière, artisans, petits commerçants) sont obligés de rejoindre le prolétariat ou la bourgeoisie du fait de la concurrence entre les individus et de la concentration du capital, avec une prolétarisation d'une partie des individus (artisans, petits commerçants). Le capitalisme est donc voué à la bipolarisation de la société en deux classes sociales antagonistes.
Pour aller plus loin (non obligatoire pour les révisions): Pour Karl Marx, seule la force de travail est créatrice de valeur, car c'est grâce à elle que les marchandises sont fabriquées. Ce sont les prolétaires qui apportent la force de travail. La bourgeoisie détient les moyens de production (on dirait aujourd'hui capital physique). Or, les machines seules ne peuvent créer de la valeur, elles ont nécessairement besoin de travail pour fonctionner. Les capitalistes rémunèrent le travail fournis par les prolétaires en dessous de la valeur qu'ils ont crées par leur travail (« sans contributions matérielles de même valeur »). Par exemple, si je travaille durant 8 heures et que je produis dix montres dont la valeur marchande sera de 300€ pour le lot, et que le capitaliste me rémunère 80€ pour la journée de travail, ce capitaliste se fait 220€ de plus-value. La plus-value correspond à la valeur du travail qui n'est pas rémunérée au travailleur mais accaparée par le capitaliste. La rémunération du capital est illégitime chez Marx, car il ne produit rien. Les prolétaires sont donc exploités par les capitalistes. Il y a donc une lutte des classes entre la bourgeoisie et le prolétariat, qui se traduira par une révolution afin d'aboutir au prochain mode de production : le mode de production socialiste, qui correspond à la prise du pouvoir par le prolétariat et la collectivisation des moyens de production ; puis vers une société sans classes et sans État -dans le sens d'institution oppressive au service de la bourgeoisie- que l'on nomme communisme (même si Marx n'a jamais vraiment défini ce mot, qui était déjà utilisé dans le mouvement ouvrier de son époque). |
2. La classe sociale suppose un sentiment d'appartenance commune.
Selon Marx, les paysans ont des conditions matérielles d'existence similaires mais ils sont isolés les uns des autres. Malgré leurs intérêts similaires, il n'y a pas de communautés ni d'organisations politiques propre à cette catégorie sociale qui pourraient participer à l'émergence d'un sentiment d'appartenance. Concernant les prolétaires : le salariat produit à la fois une concurrence entre travailleurs et une coopération, une proximité, favorable au développement de liens sociaux. A la différence des paysans parcellaires, les ouvriers développent donc un sentiment d'appartenance de classe.
Chez Marx, des individus forment une classe sociale s’ils ont des intérêts communs liés à leur position dans le système de production (classe en soi : indicateur objectif) et s’ils ont conscience de l’existence de ces intérêts communs et se mobilisent pour les défendre (classe pour soi : C'est un critère subjectif). Dans le système de production capitaliste, les capitalistes (qui détiennent les moyens de production) et les prolétaires (qui ne détiennent que leur force de travail) s’affrontent dans une lutte des classes.
Marx a alors une analyse réaliste : les classes sociales sont des groupes réelles car leur existence se fonde sur un indicateur objectif : les conditions matérielles d'existence.
Il y a une lutte des classes aux États-Unis, bien sûr, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous gagnons.
B) L'approche nominaliste et multidimensionnelle de Max Weber.
Weber distingue trois dimensions (ordre) dans la stratification sociale. Ces groupes sont nombreux, ouverts et les individus n’ont pas forcément conscience d’en faire partie. La position sur cette échelle n’est qu’un élément de la position sociale des individus.
L' ordre économique définit la classes sociales chez weber. Pour lui, une classe sociale regroupe les individus qui partagent une même « situation de classe » autrement dit ont les mêmes chances d’accéder aux biens et aux services (ceux qui ont un niveau de richesse similaire). Il distingue néanmoins:
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les « classes de possession » qui sont définies par la capacités à dégager du surplus, dont l'origine des revenus peut être très différente (rentiers, entrepreneurs, cadres dirigeants, professions libérales à hauts revenus, artistes à succès, footballeurs réputés etc.)
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les « classes de production » qui sont définies par la direction des moyens de production, c'est-à-dire par la capacité à influencer sur les décisions à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise. Les classes privilégiées peuvent rassembler des entrepreneurs industriel mais également des ouvriers aux compétences rares. Ainsi, un ouvrier qui est très qualifié (par exemple un ouvrier horloger) avec un savoir-faire particulier est en situation de quasi-monopole sur ses qualifications et il aura un pouvoir de direction sur l’entreprise dans le sens où il pourra influencer son fonctionnement (il n’est pas exploité dans le sens de Marx).
L' ordre politique correspond au pouvoir politique, c'est-à-dire à la compétition pour le contrôle de l’État. Cela se fait au travers des partis politiques. Enfin l' ordre social est le degré d'« honneur social » ou de prestige d'un individu, visible notamment par son style de vie et de consommation. Il est défini par l'appartenance à un groupe de statut (ou groupe statutaire), qui représente l'ensemble des individus qui ont un même niveau de prestige et un même mode de vie (profession, style vestimentaire, loisirs, lieu d’habitation, etc.).
La position dans un ordre ne détermine pas nécessairement celle dans un autre. Un membre désargenté de la grande noblesse dispose d’un haut niveau de prestige mais est déclassé au sein de l’ordre économique. Au contraire, un membre des classes populaires ayant gagné au loto a acquis une position élevée dans l’ordre économique sans jouir pour autant d’une position similaire dans les deux autres ordres. Un individu peut être à la tête d’un parti politique sans forcément être fortuné (ex : Besancenot), un autre peut avoir une certaine notoriété (par exemple, un présentateur télévisé, un acteur connu, un sportif renommé) sans avoir forcément de pouvoir politique. Le plus souvent, néanmoins, les individus, surtout aux extrémités de l’échelle sociale, cumulent les positions dominantes pour les uns, dominées pour les autres, sur les trois échelles
Weber prend en considération la place dans l'ordre économique mais il prend en compte les dimensions sociales et politiques de la structure sociale. L'analyse de Weber permet d'analyser une pluralité des critères de différenciations, et d'inégalités entre individus, par rapport à l'analyse de Marx. L'analyse de Weber est donc multidimensionnelle. Par ailleurs, elle ne conduit pas à une polarisation : il existe plusieurs ordres de classement à un même moment dans une société, classements qui ne se recoupent pas forcément. Il existe donc plusieurs groupes sociaux qui coexistent entre eux, sans être uniquement définis par leur situation économique.
Enfin, Weber a une approche nominaliste : les classes ont une existence théorique. Ce sont des constructions intellectuelles qui ne correspondent pas forcément à une réalité sociale.
Note : Marx écrit au milieu du 19ème (autour de 1850), Weber dans la première moitié du 20ème (autour de 1920).
C) Les autres facteurs de hiérarchisation de l’espace social.
1. Les professions et catégories socioprofessionnelles, un outil de représentation de la structure sociale.
Ce tableau représente les huit « groupes » que l'on utilise sous le nom de « professions et catégories socioprofessionnelles » (PCS). Ces groupes ne sont qu'un premier niveau de classification (quatre niveaux d'agrégation emboîtés : les groupes socioprofessionnels (8 postes), les catégories socioprofessionnelles (24 et 42 postes) et les professions (486 postes).
Les catégories socioprofessionnelles (CSP puis PCS) sont un mode de regroupement des individus en catégories sociales homogènes selon leur activité professionnelle sur la base de plusieurs critères : la profession (métier), le statut juridique de l'individu (indépendant ou salarié), la qualification, la position hiérarchique, la taille de l'entreprise (petite, moyenne ou grande entreprise), le secteur d'activité (primaire, secondaire, tertiaire), la nature de l’entreprise (privée ou publique).
C’est l’INSEE qui a créé en 1954 les catégories socioprofessionnelles (CSP). Des modifications ont été apportées en 1982 afin de prendre en compte les évolutions de la société : sont créées les PCS. L'utilité des PCS est de construire des groupes sociaux présentant une certaine homogénéité sociale. Cela part de l’hypothèse que des personnes qui ont la même profession ou des professions proches auront des conditions de vie proches, des pratiques sociales et culturelles semblables, des goûts et des opinions politiques similaires. Ainsi cette nomenclature est conçue pour être un outil d’analyse statistiques et sociologiques et rend compte de la structure sociale.
2. Le genre est un critère de hiérarchisation sociale fondé sur le sexe.
La notion de sexe renvoie à des différences biologiques entre les hommes et les femmes. La notion de genre désigne la répartition hiérarchique des rôles selon le sexe dans une société données, répartition qui se fonde et qui contribue à la construction sociale des normes et des valeurs masculines et féminines et leurs représentations symboliques. On nomme rapport sociaux de genre le fait que ce système hiérarchisé a une dimension conflictuelle car la hiérarchie est à l’avantage d’un groupe : les hommes. L’intériorisation de ces normes et de ces valeurs genrées tend à reproduire une répartition inégale des tâches domestiques et a une influence sur le choix des études et des métiers exercés dans le futur.
https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/finance-et-societe/inegalites/inegalites-hommes-femmes/
Une inégalité est une différence d’accès à des ressources socialement valorisées. Les inégalités reposent explicitement ou implicitement sur des formes de hiérarchisations sociales dont les normes et valeurs collectives sont au fondement. Les inégalités hommes/femmes sont encore très présentes et sont fortes dans le monde du travail : les femmes ont souvent des emplois plus précaires (elles subissent par exemple davantage les temps partiels), sont plus souvent au chômage, occupent moins souvent des postes de direction, perçoivent un salaire plus faible et ont plus souvent des interruptions de carrière du fait de leurs rôles de mère. Le surinvestissement des femmes dans les activités domestiques se résume dans le concept de « double journée » (Monique Haicault) : après les heures de travail, les femmes s’investissent dans les tâches domestiques, ce qui impacte directement leur vie professionnelle. Enfin, elles subissent également de la discrimination du fait des représentations sociales qui pèsent sur elles.
3. La différenciation selon la position dans le cycle de vie (l’âge et la génération).
Durant les Trente glorieuses, les individus étaient assurés de gagner, au même âge, davantage que leurs parents. Pendant les Trente glorieuses, il y avait donc un progrès de génération en génération en termes de niveau de vie. Désormais, les jeunes générations connaissent des conditions de vie moins favorables que leurs parents : les jeunes gagnent moins que leur père au même âge, ils sont confrontés au chômage et à la précarité (le taux de chômage des jeunes est de 25 %). Ils ont également plus de chance d’avoir un emploi ne correspondant pas à leur formation.
L'âge désigne la durée écoulée entre la naissance d’un individu et une date donnée. La génération désigne un groupe de personnes étant nées à la même époque et ayant connu les mêmes événements historiques. On parle par exemple de « génération 68 ». Louis Chauvel parle de « lutte des âges » pour désigner les intérêts opposés existant entre les générations : la nouvelle génération est en concurrence avec la précédente pour occuper les postes valorisés (emplois de direction par exemple), la concurrence ne lui permettant pas d’obtenir la progression que la génération précèdente a elle-même obtenue plus tôt. Ici, la lutte ne se fait plus entre les classes (Marx) mais entre les générations.
La notion de cycle de vie renvoie à l’idée que la vie d’un individu est marquée par des étapes, liées à l’âge, socialement définies et délimitées (enfance, jeunesse, âge adulte, vieillesse). A ces étapes sont associées certaines caractéristiques matérielles et des comportements distincts (retraite associée à la vieillesse ou emploi à l’âge adulte, par exemple). Aujourd’hui, la position dans le cycle de vie a une influence sur le niveau de revenus et la position hiérarchique qui augmentent avec l’âge. Enfin, les jeunes rencontrent de plus en plus de difficultés à s’insérer sur le marché du travail.
Il existe donc d'autres facteurs de structuration et de hiérarchisation de l'espace social que celui de la classe sociale. C'est un des arguments qui permet de mettre en cause, aujourd'hui, la pertinence de l'analyse de la société française seulement au travers de la notion de classe sociale telle que Marx pouvait l'envisager. On peut ainsi analyser la société grâce au PCS, à travers le prisme des inégalités de genre, de la position dans le cycle de vie, mais aussi par les inégalités de revenus (inter mais aussi intra classe: nous développeront ce point dans le II.), d'accès à un diplôme (voir III), ou encore à travers les inégalités provoquées par la composition du ménage ou du lieu de résidence (ségrégation spatiale qui sera développé dans le III., inégalité ville/campagne et accès aux infrastructures publiques).
II] Les trente glorieuses : vers une moyennisation de la société française ?
A) Un mouvement de réduction des inégalités et de constitution d’une classe moyenne.
L’évolution de la population active française de 1936 à 2008.
Sources : 1936 à 1990 : recensements de la population, 1995 : estimation à partir des enquêtes emploi. INSEE Première, mars 1996. Enquête emploi 2005, Louis Chauvel in L’état de la France 2007-2008, La Découverte, juin 2007. Pour 2008 : INSEE, Enquête emploi en continu.
De manière globale, la structure socioprofessionnelle a connu de profondes modifications tout au long du XXème siècle et qui se sont accélérées dans sa seconde moitié. La structure socioprofessionnelle est l’ensemble des caractéristiques durables d’une société qui correspond à la présence de différents groupes sociaux fondés sur l’activité professionnelle.
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la part des agriculteurs et les travailleurs indépendants (patron de l’industrie et du commerce qui deviendront les artisans, commerçants et chef d’entreprise dans la nouvelle grille des PCS) s’est effondrées,
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groupe dominant tout au long du XXème siècle, la part des ouvriers connait une lente érosion, devenant désormais le second groupe socioprofessionnel (aujourd’hui, encore un actif sur cinq est dans la CSP ouvrier),
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la part des employés, qui a toujours constitué un groupe important, est devenue le groupe le plus nombreux (plus de 6 millions de membres contre 5 millions pour les ouvriers et un peu moins de 3 millions pour les cadres),
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les cadres et professions intermédiaires ont connu la croissance la plus forte de tous les groupes depuis le milieu du XXème siècle.
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Ainsi les CSP indépendants (Agriculteurs exploitants et Patron de l’industrie et du commerce qui deviendront Artisans, commerçants et chef d’entreprise) ont vu leur part de la population active diminuée au profit de catégories salariées.
Cette modification de la structure socioprofessionnelle est dûe à un double phénomène : la tertiarisation des emplois et la salarisation.
La tertiarisation se caractérise par une diminution de la richesse créée et des emplois dans le secteur primaire et secondaire et une augmentation de l'emploi et de la richesse créée dans le secteur tertiaire. Le secteur primaire concerne la collecte et l'exploitation de ressources naturelles (matériaux, énergie, et certains aliments). Le secteur secondaire concerne les industries de transformation des matières premières (production de portable, de textile). Le secteur tertiaire regroupe la création de service (essentiellement immatériel : conseil, assurance, inter-médiation, formation, études et recherche, administration, services à la personne, sécurité, nettoyage, etc.). La tertiarisation est due au progrès technique qui a provoqué le déversement des travailleurs du secteur primaire dans le secteur secondaire (phase d’industrialisation) puis de ces deux secteurs dans le secteur des services du tertiaire (tertiarisation) à mesure que les gains de productivité rendent une partie des travailleurs inutiles dans les secteurs précédents. Plus des trois quarts de la population active est dans le secteur tertiaire aujourd’hui.
Le statut de salarié est un statut de subordination du travailleur à l’employeur : durant le temps de travail et dans le cadre du contrat et de la loi, le salarié est soumis à l’autorité de ses supérieurs hiérarchiques. La salarisation est l’accroissement de la part des emplois salariés parmi l’ensemble des emplois et donc une baisse de la part des indépendants parmi les travailleurs en emploi. Cette population hétérogène recouvre les exploitants agricoles, les commerçants, les artisans ou encore les professionnels libéraux. Ils sont liés par l’absence de lien de subordination juridique à l’égard d’un donneur d’ordre et ne disposent pas de contrat de travail. La plupart n’ont pas le statut de salarié et sont donc « non-salariés ». Les indépendants étaient 27% de la population active au début des années 1960, 17% en 1980 et 11% en 2018.
Cette modification de la structure socioprofessionnelle s'est accompagnée d'une réduction des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres durant les trente Glorieuses.
Évolution du rapport interdécile D9/D1 des niveaux de vie de 1950 à 2000
La période des trente glorieuses jusque dans les années 2000 est une période de réduction des inégalités. En 1960, les 10 % de Français les plus riches avaient un niveau de vie 7,5 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres ; en 1980 cela n'était plus que 4 fois.
Les Trente Glorieuses conduisent donc à une baisse des inégalités et par ce phénomène à une moyennisation de la société. La moyennisation d'une société peut être définie comme le processus de constitution d'une vaste catégorie moyenne réduisant les positions extrêmes dans la stratification sociale et rapprochant les modes et les niveaux de vie. En effet, suite aux Trente Glorieuses, le secteur tertiaire se développe de manière très importante (pour devenir le premier secteur de production dans le pays). On observe alors un développement de la CSP employé, les salaires augmentent fortement entraînant une hausse du niveau de vie moyen et une hausse de la consommation de masse, notamment des biens de consommation durable. Les français adoptent des modes de vie qui s'homogénéisent (exemple du barbecue et du jean). Il y a une moyennisation des conditions de vie, tant en terme de revenu que de consommation.
Pour Mendras, la moyennisation de la société (une convergence des différents groupes vers la moyenne), aboutit au fait qu'une lecture en terme de classe sociale n'est pas pertinente (donc il n'y a pas de « classe moyenne », si il n'y a pas de classe). Il représente donc la société française de 1980 en forme de toupie (ou strobiloîde) qui suit la répartition du revenu (les individus sont donc classés selon leur revenu, liés à leur CSP). Pour lui, du fait de la diversité des groupes sociaux il faut abandonner la représentation pyramidale de la structure sociale, quasiment bipolaire de Marx. De plus, il explique que le sentiment d'appartenance à une classe sociale diminue, du fait de cette homogénéisation des niveaux et modes de vie.
Taux d'équipement des ménages (en %)
Ce phénomène de réduction des inégalités, d’homogénéisation des consommations et de moyennisation est un phénomène de réduction des distances inter-classe. La distances inter-classes mesure l’écart des conditions de vie, des pratiques et des représentations qu’ont les individus entre classes sociales différentes. Les écarts entre les groupes sociaux se sont réduit de telle sorte que l’on peut conclure à une disparition des classes sociales.
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Mais qu'est-ce que c'est l'abondance ? | INA
Le président Emmanuel Macron a annoncé que c'était " la fin de l'abondance ". Mais qu'est-ce que l'abondance exactement ? C'est avant tout une époque, celle des trente glorieuses. Incursion en ...
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/abondance-societe-de-consommation-energie-penurie-consommateur
B) Des distances intra-classe qui remettent en cause le bien fondé de l’existence des classes sociales.
La distances intra-classes mesure le degré d’homogénéité des conditions de vie, des pratiques et des représentations qu’ont les individus au sein d’une même classe sociale. Il existe une distance intra-classe au sein des groupes professionnels, notamment du groupe des employés : en effet, il existe des écarts importants dans les niveaux de qualification, de rémunération et de conditions de travail entre les employés administratifs et les autres employés, notamment de services. Ainsi, l’employé de commerce est en contact avec le public. Elle doit généralement travailler debout. L’employé de service est au service direct d’un ou plusieurs ménages dont elle a la charge des enfants ou de l’entretien de l’intérieur du foyer. Dans les deux cas précédents, les tâches sont physiquement éprouvante (mise en rayon, gestion des stocks, ménage etc.). Les employées administratives travaillent dans un bureau, disposent de leur propre espace de travail fixe -qui peut être partagé- et d’un calme relatif. On retrouve des distances similaires dans d’autres catégories sociales comme les ouvriers. Ainsi, un manutentionnaire dans un entrepôt qui prépare des colis pour le commerce en ligne n’aura pas les mêmes conditions de travail et les mêmes revenus qu’un peintre en bâtiment, un grutier ou un ouvrier non qualifié qui travaille à la chaîne. De même, au sein des cadres et professions intellectuelles supérieures, l’enseignant en collège n’a ni les mêmes conditions de travail, ni la même rémunération, qu’un architecte bien qu’ils aient un niveau de diplôme équivalent.
Ainsi, en 2008, on peut voir qu’au sein des ouvriers les 10 % les plus riches ont un revenu salarial annuel 13 fois plus élevés que les 10 % les plus pauvres. Ce même rapport est de 15 entre les 10 % les plus riches des employés et les 10 % les plus pauvres. Il y a donc une forte distance intra-classe en terme de revenu. Cet écart n’est que de 6 chez les cadres.
Les distances au sein d’une même classe sont montrés par l'hétérogénéité entre les membres d’une même PCS et tend à invalider la lecture en terme de classe sociale de la société française. En effet, les individus n’ont pas les mêmes conditions matérielles d’existences, n’ont pas des conditions de travail similaires et ne développent pas un sentiment d’appartenance commune au sein d’un même groupe.
C) Une dynamique d’ouverture de la société qui interroge la persistance des classes sociales.
1. Une augmentation globale des qualifications des individus.
Christel Aliaga, Junel Bernard (dir), Formation et emploi Édition 2018, INSEE, 2018
On remarque que sur la période 1985 à 2015, la délivrance des diplômes d’écoles de commerce et les bac +5 de l’université ont été multiplié par 5. Parallèlement, la délivrance de BTS a été multiplié par 4 et celle des bac+3 par 3,5. De manière générale, il y a eu un doublement des diplômés du supérieur sur la période. La qualification de l’individu est l’ensemble des savoirs (connaissances brutes) et savoir-faire (connaissance pratiques : en application) d’un individu.
Cela traduit un accès plus important aux études supérieures, la population n’ayant pas augmenté dans la même proportion sur la période : une telle augmentation du niveau de diplôme montre une démocratisation de l’enseignement supérieure. L’école se démocratise dans la mesure où désormais tout les groupes sociaux ont accès au lycée et aux études supérieurs. Dans l’évolution de la structure professionnelle, il y a eu une augmentation des emplois en faveur des emplois qualifiés, notamment plus de cadres et de profession intermédiaires et une diminution des emplois d’ouvriers non-qualifiés (mais une augmentation des employés non qualifiés) le nombre d’emploi d’ouvrier et d’employé qualifiés stagnant sur la période. Cette monté des qualifications est partie due au progrès technique qui nécessite des travailleurs mieux formés et à la démocratisation scolaire. Cela a favorisé la croissance des groupes socioprofessionnels qualifiés et très qualifiés, qui représentent aujourd’hui près de la moitié des actifs,
2. Le développement du travail des femmes.
Charline Babet, « Comment ont évolué en France les métiers depuis 30 ans ? », Dares Analyses, n°003, 2017
Il y a une forte augmentation du nombre de femme active sur la période (9 millions en 1982-1984 à 12,5 millions en 2012-2014), le nombre d’homme restant stable (autour de 13,5 millions). La part des femmes dans la population active a donc augmenté pour atteindre 48 % aujourd'hui. Il est à noter que les femmes ont toujours travaillé, notamment dans l’agriculture et le commerce, mais elles étaient invisibilisées dans les statistiques. Seule la situation de l’homme était relevé même si elles travaillaient à la ferme ou à l’épicerie autant que lui ; une fois mariée elles étaient classées comme « sans profession » ou « ménagère » lors du recensement (et ce, jusque dans les années 80). De même dans le domaine de l’agriculture ou indépendant on ne prenait qu’un seul chef d’exploitation, l'homme. De même, les entreprises pouvaient être dirigées par des femmes ou conjointement mais étaient déclarées au nom du mari (sauf veuvage ou divorce). La féminisation des emplois représente la progression de la part des femmes dans l’emploi. On note une forte progression des femmes dans les emplois qualifiés et très qualifiés notamment dans l’encadrement, les services financiers de banque et d’assurance, le droit et la médecine. Rappelons qu’en moyenne les femmes sont plus diplômées puisque 28,6 % des femmes ont un diplôme du supérieur contre 26,9 % pour les hommes.
L’augmentation des qualifications, la féminisation des emplois, peut être analysée comme une plus grande ouverture de la société. Les individus ont accès aux études et parallèlement le poids du genre semble diminuer dans la sphère professionnelle. L’ouverture de la société, et la mobilité sociale qui peut en découler, peut être lue comme une diminution du poids des classes sociales.
III] La société française actuelle, une société qui peut être analysée en terme de classe sociale.
Les sociologues sont d'accord pour constater un brouillage des frontières entre les classes sociales, dans la mesure où il est plus difficile de repérer des groupes bien distincts et homogènes. Par ailleurs, il est difficile de définir une classe uniquement sur un critère économique (comme le faisait Marx), les individus se classent sur différentes échelles, où ils ne sont pas toujours dominant (comme le montrent Weber et Mendras). Cependant, il est nécessaire de nuancer l'analyse de la moyennisation et de ne pas proclamer la fin des classes sociales. Il existe toujours des rapports collectifs de domination et des inégalités entre groupes sociaux : même si les frontières entre les groupes sont moins nettes, les groupes existent toujours.
A) L'espace sociale chez Pierre Bourdieu : une synthèse entre Marx et Weber.
L'univers bourdieusien est hiérarchisé, impliquant des relations de domination selon les capitaux détenus par les agents sociaux. P. Bourdieu distingue quatre formes de capitaux qui vont structurer l'espace social:
- Le capital économique est défini comme l'ensemble des biens économiques tels que le patrimoine et les revenus (déterminent les conditions de vie).
- Le capital culturel est l'ensemble des ressources culturelles ; il peut exister sous trois formes :
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disposition corporelles (« capital culturel incorporé » : capacité à s'exprimer en public, aisance orale… Il reflète le capital culturel hérité (transmis par la socialisation, notamment primaire et familiale).
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bien culturel (« capital culturel objectivé ») : possession d’œuvre d'art, de meubles de style…
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institutionnel (validé par des institutions, « capital culturel institutionnalisé ») : diplôme par exemple.
- Le capital social, c'est-à-dire l'ensemble des relations sociales dont dispose un individu ou un groupe qui peuvent être utilement mobilisé.
- Le capital symbolique est le crédit, l'autorité, la considération que confèrent à un agent la reconnaissance et la possession des trois autres formes de capitaux.
Les pratiques culturelles, les loisirs, la consommation alimentaire sont différentes selon les classes sociales. Pour Bourdieu, à l'intérieur de chaque mode de consommation il y a des hiérarchies. Ainsi, ce n'est pas la même chose de boire du champagne ou du mousseux, de manger des œufs de lump ou du caviar, d'aller à l'Opéra ou à un concert de Jazz, d'aller à un concert de Jazz qu'à un concert de hip hop. (D'aller à un concert de Kerry James ou à un concert de Jul au sein du Hip hop.) Par leur consommations, les classes sociales marquent leur distinction entre les autres. Chez Bourdieu, ce sont les classes supérieurs, notamment dominantes, qui fixent les consommations les plus légitimes, les autres classes sociales cherchant à les imiter.
Bourdieu différencie la classe supérieures, les classes moyennes et les classes populaires, en fonction du volume de capital que chaque groupe détient. Il décompose les deux premières classes en fractions de classes, en fonction de la structure du capital (c’est-à-dire de la composition du capital détenu : plutôt économique, plutôt culturel). Les classes qui ont relativement plus de capital économique que culturel sont les fractions dominantes, celles ayant relativement plus de capital culturel sont les classes dominées.
Bourdieu rend compte des classes sociales à partir de la classification des PCS. Il dessine trois classes liées à la possession de capitaux (ainsi que de leur habitus, soit l'ensemble des manières de voir, de penser, de parler, de se tenir, propre à un groupe social et leur style de vie). On voit ici apparaître la classe moyenne qui a des goûts et des attitudes différentes des classes supérieures mais qui serait dans une dépendance à l'égard de la classe dominante, avec une aspiration à l'ascension sociale et une forte reconnaissance de l'ordre établi.
S' il n'y a pas nécessairement de conflit entre les classes chez Bourdieu, il existe des rapports de domination. Les classes dominantes cherchent à imposer leur modèle culturel et leur vision du monde aux autres classes par le biais des pratiques de distinction. Pour cela elles doivent contrôler les institutions productrices de légitimité comme l'école (qu'est-ce qui est valorisé à l'école ? ) ou l’État (qui entre à l'ENA, à Sc Po Paris ? ).
On retrouve chez Bourdieu des éléments des analyses de Marx et Weber dans la description de l'espace social :
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Bourdieu emprunte à Marx les rapports de domination, la hiérarchie sociale, l'importance de la composante économique.
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Bourdieu est aussi héritier de Weber car il propose une analyse multidimensionnelle de la structure sociale qui intègre deux types de capitaux en plus du capital économique : le capital culturel et le capital social (ainsi que le capital symbolique).
Pour Bourdieu, les classes sont en partie des constructions intellectuelles (nominaliste) mais elles correspondent cependant à une réalité sociale car elles se fondent sur des critères objectifs (possession de capitaux, style de vie) et elle se distinguent entre elles (réaliste), en se mobilisant, notamment la classe supérieure. Bourdieu écrit dans les années 1980.
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Comment la famille transmet l'ordre inégal des choses
La famille est un vecteur de transmission des inégalités, notamment à travers la culture de l'écrit. L'analyse de Bernard Lahire, Professeur de sociologie à l'École Normale Supérieure de Lyo...
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B) Les inégalités sont toujours présentes : les conditions matérielles d’existence sont encore très distincte entre les groupes.
1. Des inégalités encore criantes.
Isabelle Wacquet (dir), Manuel de sciences économiques et sociales terminale, Magnard, 2020
Une inégalité est une différence d’accès à des ressources socialement valorisées. Les inégalités reposent explicitement ou implicitement sur des formes de hiérarchisations sociales dont les normes et valeurs collectives sont au fondement. Les inégalités, notamment en terme de revenu, de patrimoine et d’accès aux diplômes, sont encore fortes. Les inégalités de revenu à l'intérieur d'une PSC (vu précédemment dans les distances intra-classe) sont forte, mais ne doivent pas occulter les inégalités entre les différentes PCS (distances inter-classe): le revenu salarial annuel moyen des cadres est de 38 800€ là où il avoisine les 13 000€ chez les ouvriers et employés, soit trois fois moins. La répartition du patrimoine selon la PCS est encore plus inégalitaire : en moyenne un cadre a un patrimoine 5 fois supérieur à un ouvrier qualifié et 8,5 fois supérieur à un employée.
Si elles avaient diminué, les inégalités repartent à la hausse depuis 2004. Par ailleurs, dire qu’elles étaient moins fortes ne veut pas dire qu’elles avaient disparues. De plus, il y a des inégalités dans le niveau de diplôme obtenu selon les PCS malgré une ouverture relative de l’éducation grâce à la démocratisation scolaire.
2. Les inégalités de genre doivent être articulées aux inégalités de classe sociale.
On nomme rapport sociaux de genre le fait que le genre est un système hiérarchisé avec une dimension conflictuelle car la hiérarchie est à l’avantage d’un groupe : les hommes. Dans une dimension plus large, les rapports sociaux de sexe permettent d’articuler les effets du genre avec ceux de la classe sociale.
Ainsi, nous pouvons voir que les inégalités de genre sont aussi liées aux situations de classe : les femmes cadres vont pouvoir externaliser une partie des tâches domestiques à d’autres femmes, ce que ne peuvent faire les femmes ouvrières et employées. Ainsi, si les femmes en générale vont se confronter à un plafond de verre dans la progression de leur carrière, ou aux difficultés dans l’accession aux postes de pouvoir dans les organisations productives ou en politique, cela n’aura pas le même effet selon le milieu social d’origine ou le statut actuel. Il y a peu de femme cadres au parlement mais il n’y a aucune femme ouvrière. Lorsque l’on regarde la réussite scolaire, bien que les filles réussissent en moyenne mieux que les garçons, les fils cadre s’en sortent mieux que les filles d’ouvrier et d’employé. La situation de classe l’emporte sur les effets de la socialisation genrée. Ainsi, même si le genre est un critère de stratification sociale dans la société, la classe sociale reste une outil d’analyse pertinent. Une analyse fine de la société revient à lier les rapports sociaux de genre et de classe.
3. La ségrégation touche davantage les classes populaires.
Le taux de chômage dans les quartiers prioritaires est de 23,4 % en 2018 contre 8,9 % dans les villes environnantes (2,6 fois plus), le taux de chômage des 15-24 ans dans les quartiers prioritaires est 2 fois plus élevé. Le taux de pauvreté est de 42 % dans les quartiers prioritaires en 2016 contre 16 % dans la zone urbaine englobant ces quartiers. Par ailleurs, même les personnes diplômés (niveau bac +2 ou plus) connaissent des inégalités d’accès à un emploi : 16,3 % sont au chômage contre 5,7 % dans les villes environnantes. Enfin, les habitants des quartiers prioritaires ont plus de chances de redoubler ou de ne pas avoir de diplôme. Globalement, les conditions matérielles d’existences sont dégradées et on observe des inégalités d’accès aux services publiques mais aussi d’accès aux diplômes et à l’emploi.
La ségrégation est une situation de séparation entre groupes sociaux selon certains critères (catégorie socioprofessionnelle, niveau de richesse, ethnicité, religion) qui peut être visible dans l’espace (on parle alors de ségrégation spatiale). La ségrégation a notamment deux dimensions :
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des chances inégales d’accès à des biens symboliques et matériels (offerts par la localisation dans le cas de la ségrégation spatiale),
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un regroupement des populations défavorisés dans des territoires circonscrits dans le cadre de la ségrégation spatiale. C’est le cas des quartier prioritaire de la politique de la ville (appelés « zones urbaines sensibles » jusqu'en 2015) qui sont des quartiers regroupant des populations défavorisées (notamment ouvriers et employés non qualifiés).
La ségrégation spatiale a des effets sur les conditions de vie des individus, leur trajectoire professionnelle, amoureuse, sociale. Ainsi, vivre dans un grand ensemble de zone urbaine sensible ou dans le Marais à Paris n’offre pas les mêmes opportunités (de rencontre, d’éducation, de pratiques culturelles etc.). Puisque ce sont principalement les classes populaires qui vivent dans les quartiers prioritaires, ils ne bénéficieront pas des mêmes opportunités que le reste de la population plus privilégiée.
C) La distance entre les classes est forte alors que celle au sein des classes reste faible selon de nombreux aspects.
1. La bourgeoisie, une classe en soi et pour soi.
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot montrent que la grande bourgeoisie présente toujours des caractéristiques conformes à la définition marxiste de la classe sociale. Elle est à la fois classe en soi (importance de ses avoirs économiques, notamment en termes de patrimoine) et classe pour soi (forte conscience d'elle-même, fortes solidarités, importante capacité de mobilisation, forte homogamie).
Exemple : Les rallyes sont des groupes informels, dont les membres sont sélectionnés par les mères de famille. Ils commencent dès l’âge de 10 ans par des sorties culturelles, pour se terminer par des grandes soirées dansantes. Ils permettent, à travers des activités (sorties culturelles, soirées dansantes), d’apprendre les comportements adéquats mais aussi de rencontrer les « bonnes » personnes. L’un des objectifs de ces rassemblements est en effet de permettre des rencontres affectives entre jeunes issus de la bourgeoisie pour favoriser l’entre-soi, notamment amoureux, et éviter les mésalliances. Cela permet de garder la perméabilité du groupe. Classe en soi et classe pour soi, la bourgeoisie serait aujourd'hui la seule classe réellement mobilisée.
2. Les classes populaires conservent des conditions matérielles d'existences proches.
Avec leurs salaires, conditions d’emploi et de travail, les ouvriers et employés non qualifiés constituent un segment de main-d’œuvre à part. les employés et les ouvriers non qualifiés ont en commun le fait d’être plus fréquemment en contrat court, à temps partiel ou en situation de sous-emploi que les autres salariés. Ces conditions d’emploi moins favorables expliquent une partie de l’écart de revenu salarial annuel (– 44 %) avec la moyenne des salariés. Cependant, il y a une faible conscience d'appartenir à la même classe chez les employés et ouvriers non-qualifiés. A conditions de vie égale, il y a des oppositions entre certaines sous-populations : les jeunes et les plus âgés, les hommes et les femmes, les immigrés et les non-immigrés.
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Qui sont les ouvriers d'aujourd'hui ?
Lorsque Martin Thibault, sociologue du travail à l'université de Limoges, a entamé son enquête, Ouvriers malgré tout (Raison d'agir éditions, 2013),auprès des agents de maintenance de la RAT...
Ce manque de sentiment d'appartenance chez les ouvriers et employés s'explique en partie pas l'individualisation du travail. L’individualisation est un processus historique qui conduit les membres d’une société à se considérer comme autonome par rapport à leurs groupes d’appartenance (famille, voisinage, groupes religieux etc.). L’individualisation du travail vient détruire le collectif de travail en ce qu’il atomise les travailleurs dans leur rapport aux employeurs. Les horaires de travail ne sont pas les mêmes que celles des collègues, ni les temps de pause, le travailleur peut changer plusieurs fois de poste de travail, donc de collègues, ce qui empêche de nouer des relations durables. Ainsi, cette individualisation répond à des besoins (flexibilité des horaires de travail pour pouvoir s’adapter à la vie familiale, élargissement des tâches et des compétences etc...) mais participent à l’éclatement du collectif de travail et à la construction d’un sentiment commun d’appartenance. Plus généralement, les employés et ouvriers peuvent se retrouver plus souvent dans des situations où ils changent souvent de lieu de travail, rencontrent des difficultés à se syndiquer (absence de contact, absence de possibilité de nouer des rapports de confiance avec les collègues), rencontrer des difficultés à se mobiliser lorsque l'on est en situation précaire (coût d'une journée de gréve).
Evolution du taux de chômage selon la catégorie socioprofessionnelle :
Les personnes au chômage ou dont les emplois sont instables (contrats courts comme l’intérim, les contrats à durée déterminée, les stages répétés, parfois à temps partiel contraint) sont en situation de précarité. La précarité est une situation marquée par une forte incertitude de conserver ou récupérer une situation acceptable dans un avenir proche. Cette précarité se traduit pas un manque de stabilité dans les relations de travail, ce qui ne permet pas de s'intégrer de manière assurée et durable dans le collectif de travail (fragilisation et perte des relations liées au travail), ne permet pas à l'individu de se définir de manière sereine via sa vie professionnelle puisque celle-ci est toujours en mouvement ce qui peut conduire à un risque d'isolement relationnel liées aux difficultés dans la sphère du travail (fragilisation des relations sociales hors-travail). On remarque que le taux de chômage est différent selon les PCS : les ouvriers non-qualifiés (17 % en 2017), les ouvriers et employés (10 % en 2017) ont un taux de chômage plus élevé que les cadres (4%) et les professions intermédiaires (5%). La différence d’exposition à la précarité est très variable selon la PCS ce qui vient renforcer l’idée de conditions matérielles d’existences semblables au sein d’un même groupe social, donc d’une classe sociale.
3. Le retour des classes sociales ?
Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales », Revue de l'OFCE n°79, octobre 2001
Au départ, les PCS sont faites pour rendre compte des styles de vie selon les groupes sociaux, définis par leur profession. Cependant, les deux analyses ne sont pas opposées et peuvent même être complémentaires. On peut classer les PCS dans les trois classes :
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Supérieures : chefs d’entreprises, cadres et professions intellectuelles supérieures ;
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Moyennes : Artisans et commerçants, professions intermédiaires ; un salariat qui se situe entre ceux qui décident (les cadres supérieurs) et ceux qui exécutent (ouvriers et employés), avec une marge d’autonomie dans le travail.
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Populaires : employés, ouvriers (et petits agriculteurs exploitants)
Si on prend les classes populaires (employés et ouvriers) elles représentent encore 50 % de la population active aujourd'hui.
Chauvel montre qu’il y a un regain de certaines inégalités suite à la période 65-80 mise en évidence par Mendras. Par ailleurs, Chauvel montre que les classes moyennes sont en crise actuellement. Il parle de “grand retournement” (après l'avènement des classes moyennes, elles sont en crise et se fragilise). Les conditions de vie des classes moyennes se rapprochent des catégories populaires, il y a donc une polarisation (conformément aux prévisions de Marx). Parallèlement le sentiment d’appartenance à une classe sociale est faible. Cela s’explique par un déclin du syndicalisme et du PCF (pour la classe populaire). On se rapproche donc d'une classe en soi et non pour soi.
Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales », Revue de l'OFCE n°79, octobre 2001
Lecture de la spirale : Il y a toujours un décalage entre inégalité et sentiment d'appartenance.
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En 1830, « aliénation » : fortes inégalités, faible conscience de classe puis développement de la conscience de classe (bassin miniers, grandes usines).
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Début 20ème, « lutte de classe » avec déclin des inégalités et fort sentiment d'appartenance.
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Dans les années 70', « victoire du prolétariat » : forte conscience de classe, mobilisation collective, « peu » d'inégalités (hausse fiscalité, redistribution : amélioration des conditions de vie ce qui permet d'éviter une révolution).
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Puis, durant les années 2000, « société sans classe » : de nouveaux des inégalités qui affaiblissent la mobilisation et le sentiment d'appartenance.
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Pour Chauvel, la conscience de classe peut repartir, notamment du fait de l'augmentation des inégalités (dernière phrase du texte : « Objectivement visibles mais subjectivement désarticulées, les classes sociales sont porteuses d’un avenir plus ouvert qu’on ne le conçoit généralement. »).
Pour L. Chauvel, l’existence d’un décalage entre l’augmentation des inégalités sociales et leur traduction sous forme d’un sentiment d’identité collective est un processus historique. Le creusement de ces inégalités est facilité par l’affaiblissement de la conscience de classe, mais à terme, il crée les conditions d’une reprise de la « lutte des classes » à mesure que la perception des inégalités grandit.
Chauvel propose une définition des classes sociales qui se veut une synthèse entre Marx et Weber. Ce sont des catégories qui sont inégalement situées dans le système productif et marquées par une forte identité de classe, qui comporte trois dimensions : 1) temporelle (permanence dans le temps car faible mobilité, homogamie sociale) ; 2) culturelle (modes de vie communs) ; 3) collective (défense de ses intérêts dans la sphère politique).
De ce point de vue, il n'y a pas disparition des classes sociales mais évolution de la conception théorie. Noter que les discussions autour des classes sociales tient tant à leur mesure (2ème phrase du texte de Chauvel, qu'à leur conception théorique).
La haute bourgeoisie peut revêtir les caractéristiques d'une classe sociale en soi et pour soi, tandis que de nouvelles formes de prolétariat seraient identifiables. Beaucoup d'analyste ont confondus « disparition » et « transformation des groupes sociaux ». Une grande partie des employés de service travaillent et vivent dans les mêmes conditions que les ouvriers. Cependant, cela ne se traduit pas par un sentiment d'appartenance du fait de dissolution du collectif de travail ; ainsi que la prolifération des critères de distinction.
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Les classes sociales sont de retour !
Les classes sociales, enterrées trop vite, continuent de structurer la société française. Refuser de le voir conduit au ras-le-bol social et au vote extrême. L'analyse de Louis Maurin, directe...
https://www.inegalites.fr/Les-classes-sociales-sont-de-retour